Combien de fois avons nous regardé ce film ensemble?
Des dizaines de fois sans doute.
Un enfant peut-il vraiment aimer Out of Africa?
Moi en tout cas, j'aimais ce film, parce que je le regardais avec toi.
Je savais qu'il te rendait triste et aussi qu'il te faisait du bien en même temps.
Je ne comprenais pas alors. Je comprends mieux aujourd'hui.
C'est comme la vie: c'est rempli de moments si tristes qu'ils se gravent en nous à jamais, et pourtant toute cette tristesse vient du bonheur qu'on a vécu et qui s'en est allé.
Le prix à payer pour tout cet amour que tu as donné et que tu as reçu; le prix à payer pour cette intimité qui lie deux êtres de manière si particulière qu'elle ne peut être retrouvée nulle part, qu'elle est perdue à jamais; le prix à payer, c'est cette tristesse qui t'envahit lorsqu'il s'en va.
Je n'échangerais pas une larme contre la tranquillité de l'âme d'un moine bouddhiste détaché de tout ou pour la tranquillité que me procurerait l'espoir d'un monde meilleur qui nous attend et dans lequel nous nous reverrons. Chaque larme vaut la peine d'être versée pour le bonheur de t'avoir eue pour mère et le malheur de t'avoir perdue.
Tu savais ça, toi. Et tu savais que ce film parlait de ça : d'amours fous qui ont été perdus ; d'une terre aussi lointaine et inaccessible que les souvenirs enfouis en nous, mais qu'il est doux et triste à la fois de se remémorer.
Tu avais des rêves d'Afriques qui ne se sont jamais réalisés qu'à travers les images de ce film. Tu retrouvais sans doute un peu ton prince volant, cet amour qui t'avait presque rendue folle à une époque, enfin plus que d'habitude, ma merveilleuse folle de mère, en cet aviateur de Finch Hatton. Parfois ça me rend triste de savoir qu’il ne sait peut-être pas que tu n’es plus là, ou pire, peut-être même qu’il s’en fout. Ce qui t’as marquée au fer rouge et t’a poursuivie presque toute ta vie; cet amour perdu, cet enfant que tu n’as pas eu, ne fut pour lui qu’une passade, qu’un moment, ou même qu’un mauvais souvenir plein de remords et de culpabilité mêlées... Ce serait injuste. Mais tu savais aussi que la justice n’est pas l’élément principal qui constitue la vie sur terre.
Mais qui sait… Peut-être qu’il y pense de temps en temps, et que lui aussi lorsqu’il vole et passe en avion au dessus de la cité regarde en bas et pense à toi.
Mais tu savais aussi que ce qui importait était ceux qu’on aime et lorsque nous regardions ensemble ce film, côte à côte sur le canapé de ce petit appartement de cité, nous construisions une autre ferme en Afrique, elle aussi vouée à disparaître un jour, peut-être, oui, mais une ferme merveilleuse qui existe toujours quelque part au fond de nous et qu’on peut visiter si on veut bien payer de quelques larmes le prix d’entrée.
Tu avais une ferme en Afrique au fond de ton cœur.
Et c’est pareil pour moi : j’avais une ferme en Afrique, et c’était toi.