Les Kitanomaniaques et autres Senscritiquonautes–barons du cinéma japonais s'agitent autour du dernier coup de force de leur réalisateur fétiche, « Outrage ».
Pour ma part, je les avertis : de Takeshi Kitano, je n'ai rien vu hormis cet Outrage (ainsi que Battle Royale, où Takeshi n'est qu'acteur) ; et c'est à grands coups de Wikipedia – et dans l'urgence – que j'ai entrepris de débroussailler la jungle calamiteuse de mon inculture. Qu'il soit bien dit que je ne connais rien ou presque à ces œuvres, et qu'il me serait bien difficile de trancher si c'est là un « bon Kitano » ou un « mauvais Kitano ».
Ceci étant posé... un coup de poing sur le crâne, il n'y a pas d'autres mots. Littéralement ligoté à l'écran par deux heures visuellement abyssales, une plongée dans le Tokyo version yakuza, sur fond de douilles ricochantes et visages-de-pierre ; un univers d'ombres polaires et de reflets d'acier, enivrant du début à la fin, qui se déroule lentement en une terrible fresque parsemée d'éclats bien rouges. Glacial.
De l'histoire en elle-même, que dire ?... Une fois passé la confusion du début, tous les ingrédients du cocktail tragique apparaissent très clairement : majestueusement, irrévocablement, Takeshi Kitano nous dévoile une effroyable machine infernale dans laquelle Otomo et sa gueule cassée auront beau se débattre, ils finiront broyés entre deux mâchoires d'airain. Le tourbillon de l'ambition et des rivalités construit patiemment, avec un cynisme ravageur, un univers en équilibre précaire, une incroyable cathédrale à la yakuza – pour mieux la dévaster sous les rafales et les revanches. Brutal, efficace, et chirurgical ; des orfèvres aux doigts crochus.
La fable baltique de Kitano s'est imprégnée d'une fragrance d'humour macabre, qui recouvre le tout d'une délicieuse ironie en tout point délectable. De l'ambassadeur corrompu aux meurtres improbables, une pépite bourrée de cruauté cocasse.
Au milieu de tout cela se démène un Otomo du temps jadis, autour duquel s'effondre le vieux monde l'honneur yakuza, du « code ». Les anciens loups seront tous dépecés jusqu'au dernier, et avec eux s'effondrera tout un âge de noblesse. Baroque.
En deux mots plutôt qu'en mille : redoutablement efficace. Un bon 8.
Et si l'on me dit que Kitano a fait bien mieux encore, il y a quelques années, alors ni une ni deux je me précipite sur ses autres chefs-d'œuvre ; et à grands pas.