Surgies des flots, des hordes de créatures monstrueuses, les "Kaijus", ont déclenché une guerre qui a fait des millions de victimes et épuisé les ressources naturelles de l'humanité pendant des années. Pour les combattre, une arme d'un genre nouveau a été mise au point : de gigantesques robots, les "Jaegers", contrôlés simultanément par deux pilotes qui communiquent par télépathie.



I) Quand Guillermo del Toro joue avec ses figurines



J’en appelle à vos souvenirs. Messieurs, vous preniez deux monstres, un dans chaque main, pour les faire se battre en imaginant les dialogues et en mettant en scène les affrontements dans des chorégraphies hasardeuses. Mesdames, vous preniez deux figurines humaines, une dans chaque main, pour construire des histoires d’amour, exprimer la tendresse, en mettant en scène des relations intimes dans la forme la plus pure et innocente. A moins que ce ne soit l’inverse. Impossible de le savoir. Ce que je sais en revanche c’est que Guillermo del Toro à 50 balais prend deux monstres dans chaque main, les fait s’affronter, imagine les dialogues, et met en scène les combats. A la différence que ce duel de titans n’est pas le fruit de l’imagination fertile d’un enfant, il est la conception d’un cinéaste aguerri.


On visionne en quelque sorte la séance de jeu d’un véritable gosse dans l’âme qui a dorénavant des moyens phénoménaux. Une sensation très communicative, dont on peut ressentir tout l’enthousiasme lorsque le pilote prend le contrôle de son propre Jaeger. Comme un gamin qui empoigne sa figurine, la fait bouger, exprime oralement ses actions, et construit petit-à-petit ses scènes d’action.



Ne comprenez-vous donc pas Mr Beckett?
La fin du monde est proche, alors préférez-vous mourir ici ...
ou dans un Jaeger ?




II) Concrétisation d’une passion



Pacific Rim fait écho au reste de la filmographie du réalisateur. Les œuvres de Del Toro ont souvent un dénominateur commun et il s’agit des monstres : Hellboy, Blade, le Labyrinthe de Pan, la Forme de l’eau, Cronos, et Mimic. Durant tout ce temps les Kaijus, soit la meilleure représentation possible du genre monstre, sont restés à distance d’un homme qui est pourtant friand de drôles de bêbêtes.


Del Toro a aussi une obsession pour les machines. Moins évident à déceler que son penchant pour les monstres, la mécanique est pourtant une partie importante de ses métrages. Elle est souvent présentée comme le moyen le plus efficace pour compléter les vides de l’être humain afin de le faire évoluer. Un message transhumaniste subtile caché dans presque toutes ses œuvres. Dans Hellboy, le tueur n°1 d’Hitler est à lui seul une utopie technicienne. Cette entité a la faculté d’être une véritable montre humaine qu’on remonte à rebours pour la faire revenir à la vie. Dans Cronos, une minuscule créature se cache dans un objet complexe. Le mécanisme permet de subir une morsure qui rallonge l’espérance de vie de son utilisateur.


Pour toutes ces raisons, Pacific Rim n’est ni plus ni moins que l’assemblage de toutes les thématiques propres aux films du célèbre réalisateur. C’est le dernier gros rouage qui fait maintenant tourner une machine bien huilée.



Pour combattre les monstres, nous avons créé nos propres monstres




III) Transformers avec un cerveau



Quand on sait que la mode des Kaijus a réellement commencé avec Godzilla et qu’il était non seulement l’expression des horreurs de la guerre atomique mais aussi de la peur du nucléaire, ce n’est donc pas un hasard si la notion de « lutte contre le traumatisme » parcourt librement toute l’intrigue de Pacific Rim.


A commencer par l’introduction qui souhaite apporter une résonance avec notre réalité avant de partir vers un récit surréaliste. C’est une méthode pour propulser le spectateur dans un univers fictif qui s’est toujours montrée efficace. Sous la forme de coupures de journaux, de vignettes, de déclarations paniquées à la TV, on visionne en quelques minutes les événements qui changent notre monde à jamais. L’arrivée des premiers Kaijus est vécue comme on pourrait en être informé en regardant nos propres chaînes d’informations, tel le spectre du 11 septembre.


Le cœur même du film est motivé par la lutte contre le traumatisme à travers cette technologie complexe et incertaine pour contrôler le Jaeger. La machine est telle que deux esprits compatibles sont indispensables afin de faire bouger cette merveille technologique. Ni plus ni moins, le lien neuronal entre les deux pilotes applique un partage des souvenirs, mais aussi et surtout des traumatismes. Partager la souffrance de l’autre, dans le but de le soulager, et d’établir ainsi le lien pour lutter ensemble contre l’origine même des traumatismes. Ces monstres, ces Kaijus, qui veillent sournoisement en eaux profondes. S’en est presque beau. Le Jaeger face au Kaiju, c’est comme donner le moyen à la victime d’un acte terroriste de venger ses proches et d’être capable de mater les responsables. C’est donner à un réfugié climatique le moyen d’aller foutre une raclée à l’ouragan Katrina. C’est stopper net une longue guerre par la seule force de son poing. C’est finalement donner la possibilité de combattre et même de vaincre des adversaires que nous sommes habituellement contraint de fuir.



Yeah, Gipsy! Kick his ass !




IV) Gipsy vs Otachi : Fight !



Toutefois si ces thématiques et tous ces sous-textes apportent un enrichissement indéniable au film, son succès repose évidemment sur le divertissement qu’il propose.


L’introduction (comme expliqué plus haut) nous offre succinctement le contexte pour entrer rapidement dans le vif du sujet. Plusieurs années passent, l’arrivée du premier monstre est une date aussi mémorable que lointaine et les Kaijus font pour ainsi dire partie du paysage. A tel point que la société est parvenue à s’adapter à la routine des attaques. Invariablement, nous parvenons toujours à engendrer des dérives même dans les moments les plus obscurs. Au milieu du chaos, des morts, des destructions de villes entières, le Kaiju n’a pas toujours le rôle de bourreau. Il peut être une inspiration comique pour les shows télévisés les plus désolants. Il devient la figurine que les enfants commandent pour Noël. Il est un élément politique qui peut servir ou desservir à la réélection. Et il est même une nouvelle source de revenus sur le marché de la drogue. Comme en témoigne ces séquences auprès du personnage de Ron Perlman « Hannibal », dont les affaires sont florissantes. Vendant la chair et les os des Kaijus morts, élaborant de nouveaux stupéfiants pour ses clients, il roule sur et s’habille même d’or. Toute cette explication pour vous dire que Del Toro n’a pas seulement proposé un film de combat entre monstres, il a développé tout un univers réaliste et réfléchi autour d’eux.


Quoi qu’il en soit, les affrontements entre robots et monstres sont suffisamment dantesques pour vous scotcher à votre fauteuil, vous coller des frissons, pour vous rendre ivre de bonheur :


- Le design : c’est d’abord le design des combattants qui fait très plaisir. Il n’y a pas un seul Kaiju identique, pas un seul Jaeger similaire. Tous bénéficient d’une personnalité propre parfaitement représentée par le choix du look. Sentiment bien ressenti chez les robots qui symbolisent souvent la culture des pilotes qui les contrôlent.


- Les combats : les affrontements se déroulent souvent de nuit par temps de pluie. A mon sens, si le film avait fait le choix de présenter des scènes d’action majoritairement en plein jour nous aurions perdu une belle performance. Ici, les Kaijus sont magnifiés par des couleurs étranges et fluorescentes qui apportent un véritable charme aux différents designs. Je pense tout particulièrement au combat à Hong Kong. Il s’agit déjà d’une ville lumineuse, mais elle a su parfaitement s’accorder autant thématiquement que visuellement aux Kaijus au point de devenir presque elle-même une créature.


On peut toutefois reprocher à Pacific Rim de s’enfermer dans son synopsis. L’approche reste, du début à la fin, limitée par son pitch sans aller plus loin dans sa narration. Un sentiment qu’on peut ressentir avec les personnages qui ne sont pas très attachants, associés qu’ils sont par des histoires personnelles très classiques. Il s’agit bien là d’une des nombreuses difficultés du genre, celle de faire cohabiter efficacement l’Homme et le Monstre au sein de l’intrigue.



Aujourd'hui, on annule l'Apocalypse !




Conclusion



A la manière des deux pilotes qui se connectent dans le « courant » pour prendre le contrôle du Jaeger, regarder Pacific Rim c’est un peu comme se connecter intimement avec le cerveau de Guillermo del Toro. Le fait est qu’il était grand temps que le réalisateur s’accapare le thème des Kaijus. Ils attisent une véritable fascination depuis les années 50, mais Pacific Rim signe ici la création de variations très intéressantes. A chaque plan, à chaque seconde, on peut ressentir toute l’affection de Del Toro pour ces monstres majestueux et divins qui bénéficient grâce à lui d’une seconde jeunesse.



On pensait que la vie extraterrestre viendrait des étoiles,
mais elle a surgit des profondeurs marines,
d'un portail entre deux mondes,
dans l'océan Pacifique.


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le 9 nov. 2015

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Death Watch

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