Ambigu. Et tellement savoureux.

C'est simple, Albert Serra arrive à rendre spectaculaire les situations quotidiennes et normales d'un homme politique local partagé entre sa représentation de l'Etat et son influence sur les populations de l'île face à des enjeux qui les dépassent tous : la rumeur de reprise des essais nucléaires par la marine nationale près de l'île. Il ménage la chèvre, le chou et ses intérêts ? Quels sont-ils ? D'ailleurs c'est quoi un haut fonctionnaire ? Pourquoi a t'il de l'influence ?

Malaise, j'ai eu le sourire aux lèvres pendant au moins 2h à regarder un Magimel au corps tout boursouflé, engoncé dans son costard, classe mais plouc en train d'user de son habileté diplomatique pour brouiller, embrouiller, séduire, menacer, faire du lien... Il rend service à son personnage, très subtil mais dont on perçoit l'animal politique. Le coq. Celui qui baise. Et ne veut pas se faire baiser en retour.

Le fait que Magimel soit au centre du film en tant qu'acteur professionnel reconnu et entouré par de nombreux acteurs non professionnels vient l'isoler et renforcer sa figure d'influence. Tout cela participe à la justesse globale du ton notamment grâce aux dialogues improvisés ou soufflés par un Serra, que l'on devine caché dans la jungle avec ses 3 caméras et les 540 heures de bobine pour monter la bonne scène.

Cette justesse est nécessaire, cruciale pour tenir un tel film. Paci-fiction. Le pacifique mais aussi la paix. Et la fiction. Le faux. Croire qu'on maintient la paix sur les îles. Tout est flou, entre 2 notes que ce soit le ton souvent léger, parfois brutal. Les décors sont dans la lumière ou dans la nuit, en intérieur, feutré ou dans le vent et la pluie. Les regards, derrières les lunettes ou à découvert. L'utilisation des corps dans la pénombre de la boîte de nuit ou celui du trans-sexuel, au grand jour, viennent sceller l'ambiguité du film avec des scènes fascinantes.

En tant que spectateur, avec tous ces artifices, on est pris en otage et on se retrouve à se poser des questions, à chercher ou est le vrai, le faux. C'est un régal.

En fait, je crois que tout est dit dans ce premier plan de l'île, très paisible, avec la montagne, au loin. Là. Ancrée. Grande. Irisée. Menaçante. Un peu floue. Les évènements. Et devant, le port. Les conteneurs. La marchandise. Les échanges. Très nets. Les intérêts.

C'est tout à fait brillant de savoir rendre un film de 3h aussi hynpotique avec un tel parti pris c'est à dire d'étirer les scènes, de chercher la justesse et de montrer ce qu'on n'a pas le temps de percevoir d'habitude dans des jeux politiques : la douce violence.

La scène et la situation qui illustrent parfaitement cette formule est notamment celle où Magimel écarte radicalement de son cercle une des assistantes suspectée de déloyauté. On lui change son poste. En toute tranquillité. On l'écarte au détour d'une phrase. On la met au placard. On ne lui demande pas son avis. Elle assure de nouvelles fontions après tout.

Bref, il y a énormément de choses à dire sur ce film mais le mieux c'est de le voir et de ne pas en parler. D'être discret. De le garder secret. Imprimé.

Super_Coucougnou
10

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Créée

le 19 nov. 2022

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