« La vie sauvage est si simple, et nos sociétés sont des machines si compliquées ! Le Tahitien touche à l’origine du monde, et l’Européen touche à sa vieillesse. »
« Méfiez-vous de celui qui veut mettre de l’ordre. Ordonner, c’est toujours se rendre le maître des autres en les gênant. »
Denis Diderot, Supplément au voyage de Bougainville, 1796
Même au paradis, le cynisme a sa place. Sur l’île de Tahiti, les tatouages triviaux et les chemises bariolées incarnent l’idylle d’un rythme loin de la course occidentale. Sous ces airs de cocon tropical, là où la fête et la nature prennent le dessus, les abysses finissent par gronder.
L’île prend souvent la forme de l’utopie : elle fonctionne comme un monde reclus et clos, miniature d’une société où le temps n’est jamais pressé. La première partie du film se calque sur cette lenteur et cette ambiance solaire. Tout paraît simple, spontané, et le charme du commissaire De Roller semble faire l’unanimité. Cette atmosphère reconnaît néanmoins sa propre caricature : les marins présentés de la boîte de nuit semblent tout droit sortis de portraits des photographes Pierre et Gilles tant leur aspect kitsch est assumé. La première moitié du film peut paraître assez ennuyeuse, on attend l’élément perturbateur sans jamais que celui-ci n’arrive et on peut avoir l’impression d’être coincé dans une contemplation molle. Puis les crépuscules perdent leur aspect glamour : les couleurs suaves planent comme une menace. Sous les apparences calmes et pacifiques se cache la démesure du monde nocturne et l’eau ne dort que pour que l’on s’en méfie.
La seconde partie du film délaisse le rêve polynésien pour expliciter ses tensions morales et politiques, dans des scènes majoritairement crépusculaires ou nocturnes. Il ne s’agit plus de prendre de la hauteur en hélicoptère ou de voguer sur l’océan mais de s’engouffrer dans les profondeurs, notamment lors de la recherche du sous-marin qui viendrait confirmer l’existence de la menace nucléaire, en plus d’être l’emblème de l’underground défiant les moralités. Les scènes finales ont une esthétique particulièrement jouissive, qui peut faire penser à la scène du Silencio dans Mulholland Drive de David Lynch tant leur incongruité côtoie l’onirisme dans un trip pratiquement hallucinogène au sein du monde de la nuit dans lequel les civilités sont avortées.
Pacifiction explore les failles du pouvoir sous les conversations aux semblants amicaux, où règne la guerre de chacun contre chacun pour être reconnu dans la hiérarchie : « C’est ça la politique, que des gens dans le noir qui ne se regardent même plus ». Pouvoir qui s’avère être un gouffre sans fond pour le personnage bouffé par le cynisme de Benoît Magimel, notamment lors de la scène de répétition du spectacle dans laquelle il exige plus de brutalité de la part des acteurs : « Y’a de la sueur, y’a du sang, fallait cette violence ! » Le bruit et la fureur seraient les motifs indispensables à toute représentations artistique. Toutes les cultures se rencontrent quand il s’agit d’exprimer le chaos des pulsions, mais l’Occident passe de l’art aux armes pour semer la déliquescence. Telle est l’issue fatidique de ce voyage au bout de la nuit : une signature apocalyptique.
Site d'origine : Ciné-vrai
Critique écrite par Juliette Clerc