Comment parler de Pacifiction sans communiquer une fausse image de ce qu'il est vraiment ? Se vendant comme un thriller, le film d'Albert Serra est surtout une proposition cinématographique complètement folle et hypnotique où la dimension méta réinvente sans cesse la condition même du film.
C'est en adoptant le jeu de la dimension imprévisible que le cinéaste s'amuse à exploiter et mélanger deux extrêmes que sont l'improvisation et les situations écrites. Les comédiens sont face à eux-mêmes et le sentiment de perte se fait ressentir à de nombreux instants : la longueur des plans laissent place à des blancs imposants où il faut chercher ces mots, s'adapter à la situation mise en place et les réactions en total décalage de Benoît Magimel attestent d'un certain malaise comique. Mais si la légèreté semble dominer ce début de film, cela peut s'expliquer par le fait de découvrir une forme de jeu très particulière (plus spontanée, plus dérisoire) car ce dernier attestera d'une toute autre identité à l'avenir.
Dans la logique narrative du thriller, au fur et à mesure que la fin approche, les nœuds de l'intrigue se démêlent peu à peu afin de préparer le spectateur à la potentielle révélation. Ici, Serra prend le contre-pied total de ce concept : plus la fin approche, plus les nœuds de l'intrigue se forment. Pacifiction parvient donc à atteindre une certaine forme d'universalité par son récit car dans son rythme très lent et sa longueur prononcée, le spectateur a la possibilité de placer ses pistes de réflexions, faire son enquête en même temps que le personnage de Benoît Magimel à propos de ces mystérieuses reprises d'essais nucléaires sur l'île de Tahiti. Car cela fait partie aussi des grandes forces du film ; le spectateur ne se contente pas de regarder, il est appelé à réfléchir aux événements de l'histoire. Serra semble prendre un malin plaisir à faire comprendre que quelque chose se passe et pourtant, même avec la plus profonde volonté de dévoiler la vérité autour de cette enquête, la certitude ne semble jamais véritablement accessible car superbement gardée sous silence jusqu'à la scène finale. Cette dimension quasi-paranoïaque de la narration va de paire avec une malsanité engloutissant peu à peu le paysage de Tahiti ; les décors s'imprègnent d'une saleté et d'une noirceur oppressante permise notamment par les nombreuses séquences nocturnes où le danger tout comme les indices peuvent surgir à chaque instant. C'est dans ce monde malade que l'obscurité et les vibrations des musiques de boîtes de nuits brouillent le sens moral, la conscience et les valeurs. Il n'y a pas d'amitié, ni de confiance, seul le doute s'installe et persiste afin de guider ce périple mental vers un véritable cauchemar intemporel.
Pacifiction peut sembler long, parfois perdu dans ce qu'il propose ou encore décevant dans son refus de s'ancrer dans une narration claire. Et pourtant, Serra réussit à offrir un film à l'ambiance unique offrant un discours redoutablement frontal sur l'incompréhension politique de notre monde.