De retour d’Hollywood d'où il vient de tourner plusieurs films, dont un The Impostor avec Jean Gabin, fuyant la France occupée, l’auteur de La Fin du Jour et de Pépé le Moko, adapte Les Fiançailles de Monsieur Hire de Simenon. En résulte un grand film pessimiste d’une profonde noirceur qui met en branle les pires instincts de bassesse d’une foule.


S’il est une constante dans l’œuvre de Julien Duvivier, c’est une sorte de pessimisme désenchanté doublé d’une certaine désillusion sur l’âme humaine. Une notion qu’il partage avec l’auteur Simenon. Dans Panique il dresse le portrait d’un homme que la vindicte populaire rejette totalement de la société, le haranguant sans cesse et lui collant au train les pires déviances, jusqu’à l’accuser d’un crime dont il n’est pas coupable.


Magistralement interprété par un Michel Simon vêtu de noir, dont l’ombre inquiétante jonche les murs de l’enceinte de l’hôtel dans lequel il réside, où le voisinage jette sur lui son dévolu et le rejette. Soupçonné du pire quand il offre une friandise à une gamine, stigmatisé et harangué en permanence, il s’attire les haines d’une populace qui sort à peine de la libération et son cortège d’actes patriotiques. Car on sait qu’après la libération, nombreux français devinrent subitement d’ex-résistants, allant jusqu’à commettre certains actes de barbarie sur des femmes entre autres. Absolument désillusionné sur les pires instincts de la nature humaine, comme s’ils n’avaient tiré aucunes leçons d’années de privations et d’occupation, Duvivier instille une ambiance sombre et délétère à cette œuvre, on frise le nihilisme.


Très inspiré de par son esthétique, du film-noir américain, avec ses jeux d’ombres rémanentes faisant tâche et son lyrisme sombre, restituant parfaitement l’état mental de son personnage accablé des pires vices, ce film est probablement l’une des œuvres les plus sombres et les plus pessimistes de son auteur. On est à milles lieues de l'ambiance de franche camaraderie et de l'optimisme, malgré le final, de La Belle Équipe.


Pourchassé, accusé et au final condamné sans jugement, le personnage interprété par un Michel Simon admirable d’ambigüité, sera même trahi et privé de l’unique notion à laquelle il semblait s’accrocher, l’amour d’une jeune femme, interprétée par la sublime et électrisante Viviane Romance, en femme-fatale, sorte de vamp érotique qui lui fera perdre toutes ses illusions. Dès lors il n’aura que la solution de fuir et de se réfugier dans les hauteurs. Ce qui donnera une scène finale absolument vertigineuse sur le toit de l’immeuble dans lequel il résidait.


Maîtrisé d’un bout à l’autre, stupéfiant d’intensité, et d’un esthétisme de tout premier choix, ce film fait partie des grands films sombres du cinéma français. La mise en scène de Duvivier est admirable de radicalité et le jeu de Michel Simon absolument impressionnant. En résulte l’une de ses œuvres impérissables qui s’inscrit durablement au panthéon des chefs d’œuvre du cinéma français.

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le 27 févr. 2019

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