Vieux film français des années quarante, Panique est une œuvre relativement méconnue dès lors qu'on se penche sur la connaissance populaire de l'histoire du cinéma hexagonal. Bien qu'elle ait obtenu un remake en 1989 signé Patrice Leconte, Panique doit sa seule reconnaissance à la lumière des plus grands metteurs en scène du siècle dernier. Renoir disait de son cinéaste, Julien Duvivier, qu'il en ferait une statue si un monument du cinéma lui était demandé : «Ce grand technicien, ce rigoriste, était un poète.» Ingmar Bergman et Orson Welles tenaient, de la même façon, le réalisateur en haute estime. Parmi sa grande filmographie, juché de muets, de métrages d'avant guerre ou de parlants d'après guerre, Panique fait figure d’œuvre a part, sur bien des critères. C'est que le scénario, écrit pas le cinéaste lui même, reprend un roman assez noir de George Simenon «Les Fiançailles de M.Hire» qui raconte les accusations dont est victime, à tort, un homme pour le meurtre d'une personne âgée.
Les raisons pour lesquelles Duvivier s'est intéressé à cette histoire sont évidentes, elles se découvrent rapidement au spectateur : elle traite de l'humain, de ses vices, de ses pulsions, de ses bassesses. Même si, aux premiers abords, tout est construit comme un polar hitchcockien (façon Mais qui a tué Harry?) il laisse vite à penser que la découverte de l'assassin n'est pas la raison d'être du film. Sa raison d'être c'est de faire le portrait d'un docteur, Monsieur Hire ou Varga, et de ceux qui l'accusent. La découverte du cadavre n'est en fait qu'une mise en lumière des préjugés régnant sur ce petit village. Pourquoi accusent-ils ce pauvre Désirée (c'est son prénom) ? N'ayons par peur des mots : parce qu'il est juif, parce qu'il est seul (donc forcément suspect), parce qu'il est bon et honnête (donc forcément hypocrite), parce qu'il fait peur. Et la peur, c'est connu, se nourrit de l'ignorance des plus idiots, des plus malhonnêtes. Le véritable assassin profite donc de l'opportunité pour le faire accuser à sa place, bien aidé par sa complice et aimante, la belle Alice. Duvivier n'épargne personne, hormis le touchant Docteur Hire (charismatique Michel Simon), tout le monde est pointé du doigt, jugé pour ses vils faiblesses, les femmes comme les hommes, les policiers comme les commerçants, les jeunes comme les vieux, son portrait de la société Française est brut, sans concessions, impitoyable. C'est en cela que Panique fût considéré comme son œuvre la plus pessimiste, la plus nihiliste. Au sens où aucune forme d'espoir ne ressort de l'acharnement stupide auquel est victime son personnage principal dont on craint rapidement de deviner le triste dénouement.
Duvivier ne tombe pourtant pas dans le ressentiment manœuvré ou le manichéisme le plus sommaire. On souffre avec son personnage mais on juge de notre côté. C'est toute l'évolution du film, c'est toute sa construction philosophique aussi. L'exemple le plus frappant se situe au début, quand la découverte du crime se fait. Avec elle on doute, de la même façon que l'ensemble des habitants du village. Avec elle on suspecte l'étrange docteur Varga, cet homme qui suit Alice par derrière, tel un pervers excité. La révélation du coupable ne doit pas faire oublier nos propres interrogations, sûrement guidées par les mêmes mécanismes psychologiques qu'on se permettra de juger, la fin venue, alors que nous connaissions l'assassin. C'est en ce sens que Panique est réussi, il implique le spectateur en l'amenant à réfléchir à ses propres préconceptions et à faire la remise en question de l'évolution de ses considérations tout au long du film. Sorti de cette grande réalisation on comprend mieux la volonté de Renoir de lui construire une statue. A quand le premier coup de pioche ?