Le genre humain dans ce qu'il peut avoir de laid

N'ayons pas peur des mots, ce film raconte ni plus, ni moins l'histoire d'un lynchage. Il n'y a pas que dans les westerns que cela peut se produire.


"Panique" est un film réalisé par Julien Duvivier en 1946 et est l'adaptation du célèbre roman de Georges Simenon, "les fiançailles de Monsieur Hire".
En deux mots, un assassin, aidé de sa maîtresse, détourne les soupçons vers un homme solitaire, un brin original, un brin misanthrope que les gens du quartier n'apprécient guère et trouvent hautain.


La date de réalisation, 1946, n'est pas neutre car on sait bien encore aujourd'hui que bien des gens, coupables ou pas, sont passés à la casserole de la foule déchainée quelques années auparavant pour des motifs justifiés ou pas. Duvivier a-t-il voulu stigmatiser cette justice populaire qui faisait appel aux plus bas instincts ? Je ne le sais pas mais je pense que c'est probable.
Le film me semble être dans une logique équivalente au "corbeau" de HG Clouzot.


A la différence du roman de Simenon, ici le personnage de Monsieur Hire est beaucoup plus romanesque et montre même de l'empathie par exemple à l'égard de la petite fille qu'il croise dans l'escalier de son immeuble. D'ailleurs, elle sera la seule à refuser de dire du mal de Monsieur Hire. La vérité, dit-on, sort de la bouche des enfants. Sauf qu'ici, bien sûr, les adultes, sûrs de leurs intuitions, refusent de la croire.


Le film est bâti autour de deux personnages.
Monsieur Hire, interprété par Michel Simon. Ce n'est pas le personnage anarchiste ou clochard auquel on a trop voulu l'assimiler. Ici, c'est un personnage marqué par la vie, certes, mais qui se sent brusquement renaître et devenir amoureux alors qu'il n'y croyait plus.
Amoureux, disais-je, d'Alice, une jeune femme très séduisante qu'il observe de sa fenêtre, personnage qu'interprète une Viviane Romance, sensuelle mais ambiguë. Et pendant tout le film, elle jouera ce personnage trouble, partagée qu'elle est, entre l'affection envers le bonhomme respectable et l'amour pour le vaurien.


La mise en scène de Duvivier est particulièrement efficace et bien montée. En effet, Duvivier fait évoluer le regard du spectateur sur les personnages de Michel Simon et Viviane Romance. Au début du film, Duvivier fait porter le romantisme du film entièrement sur le personnage aimant de Viviane Romance puis, peu à peu, il le transfère complètement sur Michel Simon pour qui le spectateur avait une opinion très négative de voyeur au début : c'est ce que j'appelle une magistrale leçon de manipulation scénaristique ...


L'autre point où Julien Duvivier montre un savoir-faire impeccable, c'est dans la construction de la rumeur qui va conduire lentement et sûrement au lynchage ; il ne nous épargne rien entre la haine ordinaire, l'intolérance ou la lâcheté de certains comme celui qui pérore au comptoir du bistrot puis qui, lâchement, se tait devant Monsieur Hire. C'est fascinant et vomitif en même temps.


Et la conclusion est tout aussi terrible avec les flics qui viennent de comprendre l'erreur tragique et accorde le tour de manège à l'assassin "on va lui laisser finir son tour" ...
Duvivier ne nous accorde même pas le rétablissement de la vérité. A quoi bon, en définitive ...


C'est un film très noir, impressionnant de vérité et de vraisemblance mais c'est un exercice indispensable et salutaire.
Terrible image du genre humain lorsqu'il peut être livré à lui-même dans l'immédiat après-guerre.

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le 4 févr. 2022

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JeanG55

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