Jean-Paul Le Chanois (1909-1985) est un peu oublié des mémoires. Cinéaste, metteur en scène ou parolier, il fut communiste et syndicaliste, un homme de conviction, risquant sa vie et sa couverture pendant la Seconde Guerre mondiale pour filmer la Résistance.


Dans les années 1950, ses films s’orientent vers une peinture plus douce de la société de l’époque, à l’humour gentillement piquant, qui sont de grands succès de l’époque, réunissant les plus grands acteurs français.


Papa, maman, la Bonne et moi est ainsi une belle réussite de l'année 1954. Une suite lui succède deux ans plus tard, Papa, maman, ma femme et moi, avec la même équipe technique, Jean-Paul Le Chanois à la réalisation, qui participe aussi au scénario, concocté par Pierre Véry et Marcel Aymé, tandis que les comédiens reprennent leurs rôles.


Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’avoir vu ce premier, comme c’est mon cas, pour embarquer dans cette suite, au charme certain. Les nouveaux venus feront la connaissance de la famille Langlois, le père, Fernand, la mère, Gabrielle, leur fils, jeune avocat, Robert, jeune marié, et sa femme, Catherine.
Dans ce Paris des années 1950, la condition économique des jeunes époux ne leur permet pas de s’émanciper du foyer familial, un appartement loué au cœur de Paris, mais tout le monde décide de cohabiter et de s’organiser en attendant des jours plus favorables. L’arrivée d’enfants, la revente du logement ou les promesses du bon air de la campagne sont autant de péripéties ou de contrariétés qui risquent de fragiliser la bonne entente familiale.


La crise du logement ne date pas d’hier, comme nous le rappelle ce film, plus proche des considérations de la petite bourgeoisie, voire de la classe moyenne. Un autre sujet qui n’a pas vieilli concerne les incertitudes professionnelles de la vie de chacun. Fernand sera poussé vers la retraite, tandis que Robert peine à trouver des clients.


Cela n’en fait pas pour autant un film social, mais il possède du fonds, un cadre possible, à défaut d’être réaliste, puisqu’il s’offre un peu de fantaisie. Les liens familiaux sont au centre de cette histoire, dans leurs forces et leurs faiblesses. La solidarité n’est pas un vain mot, mais la coexistence est parfois difficile, il faut partager l’espace, subir quelques remontrances, quand l’un ou l’autre n’est pas complice de quelques bévues et maladresses.


Tout ceci est examiné avec un certain humour salutaire, qui vient se moquer avec tendresse des habitudes du quotidien mais aussi des attentes des autres membres. Avec une famille de plus en plus élargie, il est difficile pour tout le monde de trouver sa place, ce que le film présente avec une bienveillance amusée. Le beau service en verre blanc de la mère en fera les frais tout au long du film. Le cabinet de Robert est partagé avec la pouponnière. Le jeu de cartes de Papa sera mis à contribution, à son grand déplaisir.


Le film est construit sur une série de péripéties, qui aiguilleront les scènes suivantes, l’arrivée de nouveaux enfants, le risque de revente du logement, etc. Autant de petits coups des scénaristes pour relancer ces tranches de vies, avec de nouvelles idées et de nouvelles situations amusantes. Ce qui offre un visionnage assez plaisant, bien qu’un peu enrayé par une des dernières anicroches, autour de l’infidélité dans le couple et de la lassitude au sein du mariage. Ce n’est pas une mauvaise idée, c’est bien un risque du couple, mais la façon il est traité tient plus du vaudeville, avec ses gros quiproquos et ses manigances. Le ton devient un peu trop facile et vain dans un film qui savait mieux doser son humour et sa tendresse.


Ce passage des incartades (possibles...ou pas) ralentit fortement le film, mais ici comme ailleurs on ne peut que souligner le talent des acteurs. Comme pressenti, la tête de Louis de Funès en gros sur la jaquette du DVD est un argument commercial, l’acteur n’y faisant que quelques apparitions secondaires comme voisin de la famille, agité et chevelu, pas un de ses meilleurs rôles. Mais l’escogriffe Robert Lamoureux un peu dégingandé fait des merveilles pour ce Robert, père un peu démuni, avocat malheureux, un peu râleur, mais toujours présent et dans le mouvement, avec sa grande voix éraillée. Nicole Courcel dans le rôle de sa femme est plus effacée, plus discrète, mais sa place dans la famille est plus traditionnelle. C’est une femme au foyer après avoir été une bonne, une évolution pour le film mais qui nous rappelle son âge sur ce point. Pourtant, l’autre femme de la maison, belle-maman, est plus volontariste, plus exposée aussi, une belle prestation de Gaby Morlais. Tandis que son mari, joué par Fernand Ledoux, est plus paisible, mais bien présent, à commenter les uns et les autres et à se lancer dans des réalisations malhabiles.


Papa, maman, ma femme et moi est un film d'un certain âge, ancré dans son époque. On y retrouve l’intérieur d’un foyer de ces années, avec ces services précieux, ces lustres chargés, et autres marques alimentaires ici et là. Mais c’est aussi un film qui a pris conscience que le monde changeait, si Catherine ne travaille pas, le film précise qu’elle pourrait le faire, tandis qu’une scène montre les derniers vieux métiers, explicitement présentés comme tels, avec le rémouleur de couteaux, le recolleur de faïences ou le vitrier. Mais son humour et sa tendresse ne sont pas datés, ils témoignent de liens familiaux toujours existants, dont on peut encore s’amuser en comparant avec d’autres personnes de son entourage. Une charmante comédie sur la famille, sans naïveté mais aussi sans cynisme.

SimplySmackkk
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le 6 août 2021

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SimplySmackkk

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