Critique originale sur Le mag du ciné
Après trois jours de compétition où les films surprennent sans livrer de véritable coups de maître, la sélection Un Certain Regard se fait une nouvelle fois remarquer avec Papicha de Mounia Meddour.
Un film au féminin avec des visages de femmes qui marquent et vont percuter frontalement l’Algérie. Dans le contexte politique actuel, la venue de ce film sur la Croisette était un bel hommage au combat de la population algérienne, une légitimité rendue à leurs poings levés depuis des mois et une invitation à continuer la lutte. Pourtant, le ton n’est pas si dramatique au début du film et c’est là que la réalisatrice est très douée pour faire osciller son œuvre entre différentes mélodies, tendances. Une ouverture énergique, pleine de musique, de la fougue de cette bande de filles renversantes de répartie et d’envie, on s’y embarque immédiatement. Des images marquent très vite les esprits notamment les retrouvailles entre la mère et ses deux filles et ces longs discours sur la mode, le mariage et la place de la femme dans cette union. Le trio ravit par sa volonté d’indépendance en étant unies. Mais c’est ici que la réalisatrice pose le point de départ de son récit et de son talent à créer la surprise en rompant le rythme établi, et faisant basculer les émotions d’un pôle à un autre, sans transition. L’optimisme et la joie sont arrachées par les balles, et les drames sont apaisés par la rage de l’héroïne, la musique qui l’accompagne et cette liberté totale vers laquelle elle tend. Le mélange forme une œuvre forte dans laquelle on est heureux de réentendre Ya Zina, qui avait offert une scène superbe dans Mektoub my love : canto uno, dont le second volet sera dévoilé dans quelques jours à Cannes.
Papicha aborde alors un autre thème fondamental dans lequel l’héroïne se glisse avec une belle facilité : l’appartenance à un pays. Dès le début, les choses sont dites, elle aime l’Algérie et ne souhaite pas la quitter. Pourtant, durant tout le film, le pays lui crache dessus, ses lois, ses exécutants, ses habitants passent leur temps à donner toutes les raisons qui existent à Nedjma pour lui rappeler qu’elle n’a pas les droits qu’elle veut ici. Comment faire lorsque l’on aime son pays autant que l’on aime la liberté ? Que choisir entre la fierté d’être née quelque part et la nécessité d’y aller, de construire la suite ? Nedjma est proche de sa terre, on la voit la saisir à plusieurs reprises comme si elle était une partie de son sang, de ce qu’elle est vraiment, marque de son amour pour le sol sur lequel elle vit.
Papicha est fort, puissant, le genre de premier film qui passionne dans son intensité et son propos, en alliant les deux avec une maîtrise qui force le respect. Là encore, la cinéaste sait mêler les thèmes et les tons en faisant de la mode et du stylisme une jolie toile de fond pour un film où l’héroïne se bat contre le port obligatoire de le niqab. L’intensité que mettent chacune des actrices dans leurs personnages est captivante mais Lyna Khoudri retient toute l’attention tant son regard, son phrasé bouleverse. Un grand tour de force.