Les prototypes d’appareils nommés DC mini qui permettent d’enregistrer les rêves à des fins de thérapies psychiatriques mis au point par une corporation sont dérobés alors qu’ils sont encore en stade de développement, or si l’accès aux rêves et donc aux subconscients des gens revêt pour cette corporation des objectifs nobles, les conséquences qu’un tel pouvoir de contrôle de la population pourrait engendrer aux mains de personnes animées de desseins plus sombre sont catastrophiques.
Ce film d’animation s’ancre donc dans un univers de science fiction dystopique, un genre maintes fois traité que ce soit par le cinéma traditionnel ou celui de l’animé, néanmoins Satoshi KON y insuffle une approche personnelle inédite qui plus est magnifiée par une extraordinaire maitrise de son média.
Dès le forfait connu, les scientifiques en charge de ce projet vont dès lors s’atteler à découvrir qui a commis ce vol, d’autant plus qu’ils s’aperçoivent que le pirate projette dans le subconscient des collaborateurs à ce projet des rêves qui ne sont pas les leurs. Le docteur Atsuko Chiba qui dans le monde concret est caractérisé par une rigueur stricte jusque dans son apparence vestimentaire, qui se contente d’être fonctionnelle et d’asseoir sa légitimité se pare des atours délurées de Paprika, jeune fille anarchiste et pétillante dans le monde onirique. Ce sont ces deux entités incarnées par un seul et même esprit qui prendra la tête de cette chasse à l’homme évoluant entre ces deux mondes.
L’animation joue sur ces contrastes en mariant avec délice les traits rigoristes, quasiment réalistes qui dépeignent la réalité à des expériences graphiques osées voire qui flirtent avec la caricature lorsqu’il s’agit de montrer le rêve. Les transitions et la mise en scène de ces deux univers qui évoluent en parallèle durant tout le film s’interpénètrent et jouent avec nos sens, notre perception est sans cesse questionnée.
Foisonnant de références empruntées tant aux mythes fondateurs, qu’ils soient d’inspiration bouddhistes, antiques ou judéo-chrétienne, qu’aux noeuds communs culturels et néo-mythiques issus de la pop culture moderne le film tend à nous démontrer l’universalité de l’imagination qui cloisonnée dans la vie que nous expérimentons chaque jour se retrouve amalgamée et indistincte dans la sphère onirique. Toutefois en dépit de ces nombreuses influences affichées et revendiquées la cohésion de l’ensemble est totale et dénote d’un scénario précis et construit avec justesse et intelligence qui jamais ne perd de vue son objectif et qui reste d’une grande lisibilité pour le spectateur.
Les pertes de repères narratifs qui constituent une part du film n’existent que pour aboutir à des révélations et à faire voler en éclats nos habitudes sensorielles, là encore le fruit d’un travail d’écriture admirable que l’animation inventive, créative, presque iconoclaste de Satoshi Kon. Sublime et vertigineux.
Source évidente de l’inspiration qui présidera à Inception (2009) réduire ce dernier à un simple remake me paraît cependant réducteur, tant les deux œuvres m’apparaissent jouer sur des ressorts opposés à partir d’un postulat de départ proche, le film de Christopher NOLAN s’évertuant à nous perdre pour nous préparer à une vision pessimiste, là où cet animé nous égare pour mieux nous révéler un propos optimiste.
J’ai déjà eu l’occasion de dire que le cinéma d’animation n’est pas un cinéma vers lequel je suis particulièrement attiré, mais quand de telles œuvres, maîtrisées, belles graphiquement, pertinentes dans leurs sujets et intelligentes dans leurs développements narratifs et aussi grandioses dans leurs animations nous sont proposées il devient alors impossible de tracer une frontière entre ce cinéma et un cinéma classique.