Jacques Luchini et Isabelle Lacan ou vice versa

Le pari de Benoît Jacquot ici est de haute volée. Comme naguère il filmât Lacan à l'apogée de sa pratique, il s'attelle ici à filmer Huppert et Luchini dans la grande dextérité de leur art. De l'un comme de l'autre nous pourrions dire qu'ils sont tels Socrate, atopos-hors de tous lieux, tant ils excellent et exagèrent( donc s'extradent aussi de) la vertu et la compétence simple que peut requérir leur métier. Ils sont ailleurs. Dans une virtuosité de chamane ou une génialité de sorcière. Or et c'est justement la difficulté du documentaire tout autant que sa gageure, Benoît Jacquot veut les montrer dans l'exercice rigoureux de ce qu'ils font lorsqu'ils travaillent tout en essayant de saisir leur secret. Or que font-ils? Huppert répète, s'entraîne à reprendre, mâcher, happer les mots, la ritournelle ou la charpente du texte. La tâche est aride, obstinée, saturée, solitaire. Le secret-Huppert échappe à la caméra de Jacquot. Ou peut-être ne se donne-t-il que dans son allure, ses manières, sa tenue, un rituel, pas dans un discours. Luchini fait la même chose: il répète, s'entraîne à dire et redire, modulant un phrasé ou un état d'être. La tâche est plus pédagogique, excessive, ouverte, discursive. Il reconstitue un mini-gueuloir à la Flaubert et travaille déjà à l'unisson, "dispersé". Là où Huppert doit savoir son texte "par coeur" , Luchini valse, danse et bifurque sans cesse se saisissant de la caméra de Jacquot pour réfléchir, questionner, témoigner pour ses maîtres: Jouvet, Bouquet et nous offrir une présentation Lacanienne de son jeu. L'art de l'incantation et de la diction pure maïeutiques vers la disparition du moi, la scansion comme dépense hystérique propice à l'état scénique, la grande sorcellerie de l'acteur prise souvent pour du cabotinage comme manifestes pour entendre. Quoi? Pas l'intention ou la direction encore moins un sens. Des sens. Non, Fabrice Lacan et Jacques Luchini nous disent et font entendre que " Ca parle" , "Ca dit" sans nous et qu'il est physiologiquement sain d'écouter cette parole et de se soigner avec.

On aurait aimé la rencontre transversale Huppert-Luchini, le dialogue des grâces. Ou que la caméra de Jacquot fouille plus avant ce tracé psychanalytique, cet être-thérapeute dont sont porteurs ces deux-là. Grâce à d'autres. Sans doute.


VioletteVillard1
8

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le 1 janv. 2023

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