La sensation cinématographique de la fin août 2024 nous vient du nord, avec ce premier long métrage de la Suédoise Mika Gustafson qui met en scène un trio de jeunes sœurs vivant dans une maison sans parents. Du ou des pères, il ne sera jamais question. Quant à la mère, on comprend qu’elle est partie depuis un certain temps déjà, probablement pour suivre un homme, et qu’il ne s’agit pas de la première fois. D’ailleurs, les filles ne passent pas leur temps à se demander quand elle rentrera. Et l’ainée Laura, 16 ans, joue très naturellement le rôle de la mère. Ses sœurs, elle les chérit plus que tout, même si les occasions de leur faire sentir s’avèrent trop rares. Il faut dire que Laura a désormais la maturité suffisante pour vivre sa propre vie.


Laura (Bianca Delbravo) est donc le personnage le plus intéressant, car on voit bien dès le début qu’elle vit avant tout pour protéger ses sœurs dans un contexte difficile qu’elles assument. En effet, les services sociaux suivent la famille et un appel téléphonique alerte Laura : rendez-vous est pris pour le lundi suivant, où une déléguée viendra faire le point à la maison. Mais, ce qui compte pour Laura, c’est de vivre sans inquiéter ses sœurs. Elle garde donc l’information pour elle et organise la survie.

Il s’agit de se nourrir et d’assurer un minimum à la maison. Pour la nourriture, on constate que le trio a des automatismes qui fonctionnent parfaitement pour s’approvisionner au supermarché sans passer à la caisse. Comment les blâmer ? Oui, c’est du vol, mais elles ne pensent qu’à survivre en restant ensemble. Ce qu’elles risquent tombe sous le sens et n’a même pas besoin d’être évoqué. Laura est également à l’affût de tout ce qui traine. On la voit ainsi chaparder de la lessive. Visiblement, elle a l’habitude et connait bien les stratégies qui fonctionnent, surtout pour elle qui compte sur ses jambes. Il faut dire que son truc, avec la curiosité pour motivation, c’est de s’introduire chez des particuliers en leur absence. Dans cette banlieue (tournage aux environs de Stockholm), elle est attirée par les villas avec piscine, ce qui lui vaut parfois de déguerpir en catastrophe et parfois même, de se trouver poursuivie par un propriétaire en colère. Lors d’une de ses fuites, elle fait la connaissance d’Hannah (Ida Engvoll), une jeune femme qui lui demande de l’aide pour décharger les courses de sa voiture. Laura a alors l’occasion d’entrer chez cette femme, de découvrir son intérieur et d’entamer la conversation. Hannah n’est dupe de rien, puisqu’elle se rappelle avoir vu Laura dans ses œuvres au supermarché et elle a compris pourquoi celle-ci l’a finalement aidée. De plus, elle observe immédiatement un certain sans-gêne, puisque Laura explore les différentes pièces avant d’y avoir été invitée. Mais, on observe chez Hannah une certaine fascination pour l’adolescente, bien qu’elle sente des mensonges (sans en mesurer l’ampleur, mais en observant l’incroyable aplomb de Laura). On ne saura jamais exactement d’où vient cette fascination, mais on imagine qu’Hannah admire la liberté de mouvements de Laura, une liberté qu’elle n’a plus en ayant trouvé sa place dans la société. De fil en aiguille, Hannah va demander à Laura de lui montrer comment elle s’y prend pour entrer chez les gens sans effraction. Les deux se prennent au jeu et un lien se forge. On se dit que Laura a trouvé la mère de substitution qui lui convient et qui pourra « jouer » la mère auprès des services sociaux, ce qui l’arrangera bien. Mais les choses ne sont pas si simples…

Si Laura est particulièrement intéressante en tant que personnage en marge de la société, avec des préoccupations primaires, observer ses sœurs ne manque pas d’intérêt. Mira (Dilvin Asaad) sa cadette occupe la difficile position de celle du milieu. A 12 ans, elle ne peut encore pas prétendre à l’autonomie. D’ailleurs elle pense avant tout à s’amuser, jusqu’à devenir manager d’un voisin qui chante à l’occasion dans le café tenu par sa compagne, une femme à qui Laura vient régulièrement demander des produits de première nécessité, car elle sait que malgré une certaine réticence, elle finira par accepter. Quant à Steffi (Safira Mossberg), 7 ans, on sent qu’abandonnée à elle-même, la petite boulotte pourrait devenir violente. Mira est donc régulièrement affectée à sa surveillance. Le scénario, la mise en scène et les éclairages mettent bien en valeur ces trois sœurs qui s’avèrent pleines de vie, attachantes, touchantes, émouvantes et même drôles.


La situation dérangeante proposée par Paradise is burning n’est pas inédite (inévitablement on pense à Nobody Knows du Japonais Kore-eda), mais ce film présente des choix et un traitement qui méritent largement la découverte. Cette fiction crédible est nourrie par les nombreux souvenirs d’enfance de la réalisatrice (déjà quatre courts métrages à son actif) et de son co-scénariste (Alexander Öhrstrand) qui ont grandi dans la même région. Visiblement, Laura se cherche, ce qui apparait dans son aspect changeant selon les situations (entre la fillette et l’adolescente presque adulte). Curieuse, elle s’avère exploratrice d’une société dont elle connait les failles pour en profiter. Ses obsessions n’ont rien à voir avec celles des jeunes de son âge. Le téléphone portable, les objets connectés et autres écrans (on remarque juste quelques images du Stalker de Tarkovski, mais que… personne ne regarde) qui fascinent sa génération lui passent au-dessus, ce qui n’empêche pas le côtoiement, du moins avec les filles, notamment lors de cérémonies qui leur permettent de célébrer à leur façon les moments clé de leur existence.


Le scénario nous permet de suivre Laura en priorité, sans négliger ses sœurs, ce qui nous donne un vrai portrait de groupe soudé malgré une situation franchement compliquée. Les trois sœurs sont interprétées par des inconnues dénichées lors d’un long casting. Toutes trois s’avèrent particulièrement convaincantes et d’un naturel sans faille, malgré le recours toujours risqué au regard face caméra. L’aspect le plus dérangeant du film, c’est qu’il montre ces jeunes filles livrées à elles-mêmes sans que personne de leur entourage ne s’en inquiète plus que cela, que ce soit le voisinage ou même sa tante que Laura tente de soudoyer. Mika Gustafson montre notre société (paradis perdu depuis bien longtemps) négliger ses enfants et donc l’essence de son avenir.

Electron
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le 1 sept. 2024

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