Cédric Klapisch est un grand habitué des films de groupe, c'est-à-dire avec une multitude de personnages. Généralement, chez lui, il y a un personnage fil conducteur qui sert à introduire les autres. C'est par ce biais narratif que l'on fait connaissance avec chacun d'entre eux. C'est cette recette d'écriture qui fait les meilleures œuvres du cinéaste.
Paris, c'est différent. Alors c'est un ensemble avec une multitude de personnages, mais qui ne croisent pas forcément celui qui est fil conducteur. Même celui-ci, incarné par Romain Duris en danseur en attente d'une greffe, plane plus au-dessus qu'il ne rencontre la grande majorité des divers destins exposés. En fait, Paris est un film choral avec pour thématique centrale... ben, c'est comme le Port-Salut… Jamais, Klapisch n'en avait réalisé (de film choral !) avant. Et cela aurait été mieux qu'il ne s'y essaye pas.
Ben oui, car ce choix nouveau a une conséquence : les protagonistes se croisent plus qu'ils ne font connaissance. Ce qui donne un aspect superficiel à l'entreprise, en rien arrangé par un trop grand nombre de caractères.
Certes, en faisant ce choix, Klapisch peut se payer une distribution de gros malade. Mais il ne donne pas grand-chose à chacun et chacune.
D'autant plus qu'il aurait pu supprimer des histoires franchement clichées.
Le prof de fac qui se tape une de ses étudiantes. C'est du vu et revu, sérieux. La partie moins attendue, dans lequel ce même caractère a du mal à gérer son stress, lorsqu'il se met à animer des émissions télévisées d'histoire, suffisait largement pour utiliser Fabrice Luchini faisant son Fabrice Luchini et aurait pu être creusée jusqu'au bout (ce qui n'est pas le cas évidemment !). En outre, on aurait évité Mélanie Laurent. Et les meilleurs moments dans un film avec cette "comédienne" sont ceux dans lesquels elle n'apparaît pas.
L'itinéraire de l'immigré africain qui veut se barrer de son pays, qui s'exécute en payant sûrement une blinde un passeur, ensuite en se fourrant dans une embarcation de fortune sur une mer déchaînée pour arriver dans la capitale française (au lieu de profiter de la circonstance qu'il travaille dans un établissement hôtelier où il croise constamment des personnes riches, donc influentes, pouvant l'aider, pour les plus bienveillantes d'entre elles, en un ou deux coups de fil à améliorer sa situation !) est juste là pour donner bonne conscience, faire genre "oh, j'en ai quelque chose à foutre de ces pauvres immigrés de mon appart de 200 mètres carrés du VIIIe" et pour insuffler des coupures inutiles de rythme ainsi que de lieu en sortant de la Ville Lumière.
Et les mannequins baignant dans le luxe le plus absolu qui vont se taper les maraîchers de Rungis. Non, mais pfffffffffff… Euh, Cédric, moi aussi, j'aimerais bien vivre dans un monde dans lequel tous les gens de tous les genres, de toutes les orientations sexuelles, de toutes les générations, de toutes les religions, de toutes les ethnies, de toutes les classes sociales, de toutes les nationalités se tiennent par la main autour d'un bel arc-en-ciel, en ne ressentant qu'amour inconditionnel pour leurs prochains. Mais ce n'est pas du tout la put... de réalité endogame… Et des femmes d'une classe sociale supérieure couchent rarement avec des hommes d'une classe sociale inférieure. À moins que ce soient des ultra-beaux gosses, elles n'en ont rien à foutre de ce type d'hommes. Il n'y a rien de misogyne dans ces dires, c'est juste un constat bien pragmatique.
Et pourtant, il y a de bonnes choses qui surnagent sporadiquement et d'une manière hélas trop brève. Le lien affectif fort entre une assistante sociale dépassée (Juliette Binoche, d'une formidable justesse !) et son frère gravement malade (le personnage fil conducteur déjà cité !), la même assistante sociale avec le maraîcher (Dupontel qui assure lui aussi !), la boulangère acariâtre et raciste avec ses vendeuses (Karin Viard, délicieusement bien énervante et malheureusement considérablement sous-employée !) qui embauche une jeune Maghrébine compétente et n'hésitant pas à envoyer bouler sa patronne (franchement, cela aurait été jouissif de la voir constamment l'envoyer bouler tellement elle est détestable !) ; voilà des exemples, pas vus et revus, qui auraient pu être approfondies et donner à eux seuls des intrigues consistantes et enthousiasmantes.
Ah oui, Gilles Lellouche ne semble que pouvoir jouer les gros bourrins.
Pour la fin sur une traversée de Paris en taxi accompagnée de Satie... euh Cédric, tu n'aurais pas pompé grave sans originalité un certain Louis Malle en comptant sur l'inculture du spectateur pour ne pas le remarquer ? Le Feu Follet pour Satie, la sensation de solitude et la mort en embuscade dans la capitale française ? Non ? Juste remplacer New York par Paris, Wallace Shawn par Romain Duris pour le trajet en taxi sur le même Satie, ce ne serait pas comme les dernières minutes de My Dinner with André ? Hum…
Mouais, il y a des trucs vraiment très bons, mais ce ne sont que des trop petites pièces éparpillées façon puzzle parmi beaucoup trop d'autres. En voulant en raconter trop, on ne raconte rien du tout.