film de Lidia Terki – 86 mn


Résumé le film à quelque chose comme "c'est l'histoire d'une algérienne qui vient à Paris pour revoir son mari qui a passé toute sa vie en France" est terriblement réducteur, même si pour moi c'était déjà un motif suffisant pour me donner envie d'y aller. Dans la fin des années 60 Nour (Zahir Bouzerar) a quitté sa Kabylie pour venir gagner sa vie en France, envoyant son salaire de maçon à sa femme restée au pays avec les enfants, retournant de temps en temps au pays, puis sans doute de plus en plus rarement. Pendant 47 ans. Puis il n’a plus donné signe de vie. Contre l’avis de ses enfants, son épouse Rekia (Tassadit Mandi) décide de partir le retrouver à Paris pour le ramener. Mais comment le retrouver dans Paris ? Après trois jours d’errance, elle s’effondre. C’est un jeune émigrant (Syrien ? Irakien?) qui va être le premier à lui porter secours, et la confier à une jeune barmaid, Tara (Karole Rocher), qui la prend en charge pour l’amener d’abord chez sa sœur qui occupe un petit logement occupé également par leur mère infirme, et ses deux adolescents. C’est donc à son ami, Stève (Sebastien Houbani), qui loue des caves en sous-sol pour héberger des réfugiés et en tire profit, qu’elle confie Rekia pour une nuit en attendant l’heure de pouvoir consulter les services sociaux - « Ici tout le monde est fiché, on va le retrouver votre mari ! ». Il faudra pourtant convaincre l’assistante sociale pour enfin obtenir de la CAF l’adresse de Nour. C’est dans la banlieue, dans un centre pour chibanis, et autres laissés pour compte dont la force de travail est devenue inutile, au milieu d’immeubles qu’ils ont construits et qu’on est en train de démolir quarante ans plus tard, que Nour a trouvé refuge. La rencontre a lieu, et on peut croire un moment que ces quarante-huit années viennent de s’effacer d’un coup. Sans effusion, sans larmoiement, comme si la vie reprenait le dessus. C’est presque un voyage de noces dans Paris, au pied de la Tour Eiffel. Mais le lendemain, Nour ne part pas, il sait que sa place n’est plus en Algérie, et il accompagne Rekia à la gare où elle reprend seule le chemin du retour.
En réalité c'est bien plus que cela, c'est une magnifique histoire d'amour, digne de la grande tragédie grecque : deux êtres écrasés par leur destin, et qui y ont fait face chacun à sa façon, racontée avec une grande légèreté, par toutes petites touches, et avec un humour tout de délicatesse : il n'est jamais humiliation de celle qui nous fait sourire par sa naïveté et sa gaucherie – sa démarche évoque celle d’un Charlie Chaplin dont la canne serait remplacée par une lourde valise à roulette, un éternel vaincu mais qui toujours rebondit - , juste ce qu'il faut pour que l'émotion ne nous noie pas, et à tout instant c'est débordant d'émotion. Le spectateur devient par sympathie (au sens fort : sun + pathein : être sur un même sentiment, un même ressenti) cette vieille femme qui n'a pratiquement plus vu son mari depuis 48 ans qui débarque de sa Kabylie dans une ville qu'elle ne connaît pas et qui n'arrive pas à lui être hostile, parce que la générosité naît de ceux dont on l'attendrait le moins, dépeints dans leurs forces comme dans leurs faiblesses, tant et si bien qu'on ne peut pas parler de personnages secondaires. Aucun mélodrame, et pourtant le spectateur non seulement partage le sort de cette quasi veuve, mais fait le voyage et, à travers ses yeux étonnés et inquiets, voit Paris qui n'est pas toujours présentée sous son aspect de ville de lumière! La Ville blanche étrangère, ce n’est pas Alger la blanche où Nour aurait pu, et dû, trouver ce travail qui faisait défaut dans l’Algérie venant de naître à son indépendance au lieu de venir construire des bâtiments qu’on est déjà en train d’abattre. Vanité de son existence, gaspillage d’une vie, injustice du sort qui humilie les plus faibles. Et quand avec Rekia le spectateur rencontre enfin lui aussi ce mari fantôme, il est déjà lui-même Rekia depuis longtemps, il devient aussi aisément Nour par la même sympathie qui habite sa femme, qui n’a aucun reproche à adresser à celui qu’elle a si longtemps attendu ; c’est bien le destin - son histoire personnelle – qui a creusé cet infranchissable fossé, sans que cela les empêche, parce qu’ils ont traversé la même épreuve, de se retrouver un moment comme au meilleur temps de leur jeunesse, dans toute leur fraîcheur et leur innocence, où tout redevient possible. Deux corps côte à côte qui ne s’effleurent pas.
Le film ne dure que 86 mn, mais ce sont 86 mn de pur bonheur, fait de lenteurs qui nous laissent le temps de nous imprégner d’un autre temps, celui de la quête impossible, aussi bien le départ de la maison sur la colline de Kabylie, que le voyage en mer, que la visite des environs du port de Marseille quand Nour sur la passerelle du Mucem marche dans la partie supérieure de l’image, que l’errance obstinée, jusqu’à l’épuisement, dans une ville hostile. Émouvante rencontre sur le pont du bateau qui les emmènent vers la France, avec la pied-noir qui chaque année revient à Alger et repart sans avoir le courage de débarquer, et cet échange de deux phrases entre ces deux femmes meurtries et non résignées, emblématiques de ce film si peu bavard et qui dit tellement de choses, avec une magnifique bande son, elle aussi toute en retenue, et rend si présente et si légère l’atmosphère. Ce qui est sûr c'est que le film transforme notre regard, et le mot "chibani" n'est plus un simple mot pour désigner ces êtres que la mer a abandonnés de ce côté-ci de la Méditerranée. On devient cet homme qui n’attend plus rien de la vie, et on le comprend, et cette femme que le destin a écrasés. Mais cette mère courage ne s’est pas résignée et nous signifie que l’amour est bien plus que l’effleurement de deux corps, et qu’à cause de cela il ne peut déboucher sur le désespoir. Belle leçon d’humanisme.

Douncin
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le 5 avr. 2017

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