Entre comédie romantique surjouée et survival désespérément cliché, on retient surtout de Passengers une morale sinistre maladroitement enrobée de bons sentiments.
Imaginez votre pire cauchemar : ayant quitté la Terre pour un voyage cryogénique de 120 ans, vous vous réveillez 89 ans trop tôt dans un immense vaisseau dont les 5000 autres passagers sont restés endormis. Vous êtes vouée à une errance sans fin dans ce tombeau en devenir, avec pour seul compagnon de voyage un homme qui fait une obsession malsaine sur votre personne et rêve de finir ses jours avec vous pour adoucir sa solitude. Prisonnière, vous ne pouvez vous enfuir ni vous adresser à une tierce personne.
Si Passengers avait été relaté du point de vue d’Aurora Lane, c’est ainsi qu’il aurait abordé son “idylle” avec Jim, seul homme éveillé à bord. Écrivaine new-yorkaise à succès en quête de postérité dans une nouvelle colonie, elle se réveille trop tôt et voit son voyage interrompu, ruinant son existence à venir et la condamnant à ce sinistre dessein. Cela en aurait fait un film beaucoup plus oppressant, autrement plus intéressant, et assumant au moins sa part d’ombre. Mais Passengers, s’intéresse au point de vue masculin de Jim avant tout. Au yeux de Jim, nous assistons à une romance mielleuse, digne des pires comédies romantiques hollywoodiennes, se voulant décalée – c’est dans l’espace ! – et ratant misérablement ses tentatives d’humour. Le hasard fait que Jennifer Lawrence et Chris Pratt sont tous deux jeunes et beaux, quelle coïncidence, et dire que l’homonyme de la Belle au bois dormant aurait pu être réveillée aux côtés d’un sexagénaire bedonnant et rougeaud aux intentions (encore plus) libidineuses.
Passenger est une pomme véreuse sous une jolie robe brillante. Quelques plans stellaires laissent entrevoir un potentiel de beauté inexploitée. Le vaisseau Avalon, qui tient presque plus de l’Overlook Hotel que du Discovery One de 2001, l’odyssée de l’espace, offre un écrin agréable à la première demi-heure du film, qui laissait présager d’une œuvre de science-fiction convenable. Les longs égarements de Jim au sein de cette immense coque vide rappellent furtivement ceux de Jack Torrance dans Shining : comme lui, il finit ses journées en conversation avec un fantôme laconique – ou ici, un robot incarné par l’étrange Michael Sheen – accoudé au bar, un whisky en main. Les progrès de sa dépression sont mesurables à la taille et saleté de sa barbe, et comme la majorité des humains face à une solitude si cruelle, il finit par dérailler… tout comme le film.
Jim cristallise-t-il un fantasme inavoué du scénariste ? Dans tous les cas, il est garant d’une morale sinistre sous couvert de romance ; que la vie est belle quand on est deux, même si notre existence nous a été volée et qu’on a des décennies d’ennui mortel face à nous (un peu ce qu’on ressent tout au long de leur petite histoire d’amour). La relation entre les deux protagonistes aurait pu être infiniment plus complexe, le huis clos bien plus claustrophobe et insalubre, mais la seule angoisse ici est de réaliser que les producteurs ont laissé passer un message aussi amoral que celui de Passengers. Un Chris Pratt larmoyant censé nous émouvoir achève le tableau – vous comprenez votre honneur, il a fait quelque chose de mal mais c’est un type bien au fond, il se sentait juste seul.
La bande-annonce nous vend une comédie romantique edgy (awww, il l’emmène au restau, c’est mignon) et oblitère toute notion de non-consentement entre les deux personnages. Sous-entendant également que les dysfonctionnements du vaisseau reflètent une conspiration plus vaste à laquelle ils devront faire front, la promotion du film frise le mensonger, et la désillusion est sévère. On réalise que le dernier tiers ne propose qu’une succession de clichés tentant lamentablement d’excuser Jim en lui offrant une occasion en or de se sacrifier pour le bien commun. On ne s’attarde même pas sur les scènes “d’action”, balayées par ce que les dernières années nous ont fourni en sensations fortes dans l’espace (Gravity, Insterstellar, Seul sur Mars, etc.).
L’histoire aurait au moins pu être contée via le roman d’Aurora Lane, atteignant la postérité dans une colonie lointaine après 90 ans de turpitudes interstellaires, mais Jennifer Lawrence, cantonnée au rôle de compagne glissant peu à peu dans un syndrome de Stockholm inavoué, n’a plus rien d’autre à offrir que des réparties du genre “Je ne peux survivre sur ce vaisseau sans toi”. Il n’y a pas vraiment d’enjeu quand survivre implique 90 ans dans l’enfer spatial, mais Passenger reste cruel jusqu’au bout, tant avec ses personnages qu’avec ses spectateurs.