Passion est en quelque sorte un retour aux sources pour De Palma.
Sous ses allures de petit thriller machiavélique presque anodin il livre un exercice ultra théorique, ultra cinéphilique, tout en conservant un spectacle premier degré assez jouissif.
Avec Passion, le cinéaste fait ce qu’il a toujours fait, et surtout avec ses films sous influences hitchcockienne, notamment dans les années 80 (Pulsions, Body Double), à savoir une radiographie de notre époque. Passion est un film à la forme ingrate, d’abord, avant de revêtir une étrange hybridité qui le rend fascinant. Durant la première heure De Palma enferme ses personnages dans un monde de verre, de reflets, lisse, aseptisé, désincarné. On est dans l’univers de l’image vaine, vulgaire, celui du monde de la publicité mais qui n’est que le reflet du monde extérieur que l’on distingue flou derrière des fenêtres ou des rétroviseurs. Les personnages sont sans affects, sans chair, ce sont des marionnettes qui s’animent et se tapent sur la tête dans un petit théâtre de cruauté, de manipulation, de rapports de force. La passion qui circule entre les personnages n’est en rien celle de l’amour, tout est intéressé, tout vise à la réussite, à la dévoration de l’autre pour trôner au-dessus.
De Palma les filme sans passion, l’image est laide, téléfilmique, mais le montage rend la narration glacée et élégante. De Palma attend le dérèglement du plan.
Ce dérèglement va se faire par l’intervention de plus en plus forte du propre cinéma du cinéaste.
Passion joue avec les codes du cinéma de De Palma comme ce dernier jouait avec ceux d’Hitchcock à ses débuts. Outre ses thématiques habituelles qui habitent le film : voyeurisme, rapport à l’image, aux images, manipulations,… il rejoue presque à l’identique ce qu’il a déjà joué par le passé. Le film a ainsi beaucoup de Pulsions, de Phantom of the Paradise, de Sisters,…
Jusqu’ici, on pourrait trouver le film assez flemmard, voir auto satisfait et un peu vain, y compris dans sa représentation du vide de notre époque que l’on a déjà vu à nombreuses reprises (Cosmopolis, Shame, Im Sang-soo,… pour en citer quelques-uns). Mais c’est pourtant un de ses films les plus aboutis justement sur ce rapport à l’image et il le fait avec une grande malice et virtuosité dans la mise en scène. En fait tout le film est synthétisé dans son split–screen central. Véritable point de convergence où les deux imageries vont se confronter, se repousser, s’attirer et s’unir pour proposer un tout autre cadre. Celle aseptisée de la première partie qui va trouver sa représentation la plus définitive dans la captation de la séquence de danse du Réveil du faune. Et celle de la rupture, du retour au sang et à la lame, à la déchirure du plan.
Les citations sont alors injectées dans le récit et dans la mise en scène non pas dans un simple effet gratuit, mais pour questionner et réfléchir le nouveau cadre, la nouvelle image filmée par le cinéaste et traduire cette nouvelle vulgarité en rappelant celle qu’il filmait à l’époque, dans les années 80.