Un exercice périlleux, réussi...
"Passion" est un de ces films sauvés de justesse par sa dernière partie. C'est un film très évolutif, qui commence de manière assez insupportable et finit en morceau de bravoure cinématographique. Ce n'est clairement pas mon De Palma préféré, mais il est intéressant.
Dans l'agence de Berlin d'une grande entreprise de pub, la chef, Christine, essaie de faire sa chose d'une prometteuse créative, Isabelle James, sous le regard d'une jolie secrétaire, Dani. Lorsqu'Isabelle fait un carton et menace de la dépasser, Christine décide de l'humilier, mais les choses n'en restent pas là.
Le film se déroule donc, dans sa première partie, dans l'environnement aseptisé et design d'une agence de pub. Si le film se résumait à cette première partie, je lui aurais mis 4. Les coucheries d'Isabelle avec le petit ami de Christine, l'histoire de la vidéo volée, l'enrivonnement numérique lississime, la manipulation avec l'histoire tire-larme de la soeur jumelle, les réunions autour d'une table ou de petits fours, tout cela est désespérément prévisible et cliché, et en plus le rythme est lent. La caméra est plutôt fixe, et les perversions/manipulations de Christine sont en somme assez plates, à base de gode-ceinture et de masques. On ne sympathise pas pour ces gens. Bref, arrivé au milieu du film, j'étais en train de me dire que Noomi Rapace était une sorte de malédiction, car tous les films de grands réalisateurs vieillissants dans lesquels elle tournait étaient marqués par le gâtisme (Suivez mon regard...).
Et puis arrive la séquence où Isabelle va voir "L'après-midi d'un faune" au ballet. Et là, écran splitté avec en parallèle le ballet et un meurtre. Fait et refait par De Palma, d'autant que la juxtaposition n'est pas très plastique. Parfois un écran envahit l'autre, puis revient. A quoi tout cela rime-t-il ? En réalité, tandis qu'il regarde ces danseurs et ce meurtrier à l'oeuvre, le spectateur est en train de se faire balader en beauté, et il ne sait pas que ça ne fait que commencer. La valeur diégétique (pardon pour les gros mots) de cette séquence ne se révélera que plus tard, et désormais le spectateur se posera à chaque instant la question : suis-je en train de regarder un flashback ? Un rêve ? La réalité ? Le rythme se fait aussi de plus en plus soutenu, jusqu'au paroxysme final.
Sans dévoiler le scénario, les références hitchcockiennes se mettent brusquement à surabonder, d'indices de meurtres en motifs récurrents (le masque, la tête de Gorgone, l'écharpe blanche). Cette fois il s'agit de "Vertigo", avec le motif du double qui vient remplacer une morte, la musique qui pastiche le thème du film original et les cages d'escaliers vues de haut avec quelqu'un en train de les monter. On n'est jamais très loin de la caricature, mais De Palma imprime un rythme de suspense haletant fort bienvenu (on regrette qu'il arrive si tard, car dès lors on aimerait que le film ne se termine pas si vite). Toutes les pièces du puzzle, posées dans la looongue première partie, s'emboitent, puis se recombinent pour former un motif encore plus vaste, encore plus subtil.
La dernière séquence est volontairement déroutante, au point que certains spectateurs souriaient un peu. SI je trouve qu'il ne faut pas abuser des fins ouvertes, qui masquent parfois une certaine paresse, ici je suis pleinement convaincu. Le film demande une deuxième vision pour être pleinement apprécié, et je suis sûr que comme dans Snake Eyes il y a beaucoup de petits détails supplémentaires qui n'attendent qu'à être repérés en 2e vision. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'au niveau formel, le film transporte au point qu'on le reverra plusieurs fois : c'est maîtrisé, il y a une énergie folle à la fin, mais le début demande vraiment de la patience et de la compréhension.
"Passion" est un bon De Palma. Il faut patienter une grosse heure avant que le puzzle ne commence à s'assembler, mais une fois la machine lancée, elle fonce comme une locomotive folle.