On ira pas à contre-courant de la thématique féministe illustrant le dernier film de Yorgos Lanthimos en évoquant les points obscurs pour se donner des allures de grand critique. Le film est la énième dissertation binaire et contemporaine (architecturalement déguisée cette fois-ci) autour de l'émancipation de la femme. Le parallèle avec la récente poupée Barbie n'a rien de fortuit, au contraire, les deux destins se croisent au détour de l'expérience de vie. Aucun sarcasme donc autour de cette constante définitivement gravée dans l'air du temps qui en aura saoulé plus d'un (ce qui peut se comprendre tant le rabâchage médiatique et culturel tient plus du tract syndicaliste que de la plume légère du lettré) mais une entente avec les auteurs pour une reconduction tacite de la thématique à condition d'en explorer de nouvelles pistes. En vain.. Ainsi en prenant en sous texte Confucius et sa citation la plus célèbre : "L'expérience est une lanterne que l'on porte sur le dos et qui n'éclaire jamais que le chemin parcouru", on accepte les prises de décision de Bella Baxter (Emma Stone) suite à sa résurrection. L'évolution de son corps et de son esprit suivent scrupuleusement la trajectoire monorail (et monotone ?) du récit. Elle apprend aujourd'hui au contact d'autrui, sélectionne son entourage, use de son intellect. Son physique reconstruit auparavant détruit par le suicide qui la met en étroite comparaison avec le faciès esquinté de son concepteur de père Godwin -littéralement Dieu gagne- cicatrices à l'appui. Tout juste Lanthimos évite le complexe œdipien puis trace par la suite une droite qui marquera l'évolution de Bella femme enfant capricieuse à Bella étudiante en médecine jusqu'à l'inévitable vengeance. La charnière scénaristique est évidemment sexuelle. Le corps de la femme exposé au plaisir du coït par un amant flamboyant Duncan Wedderburn (fantastique Mark Ruffalo) adroit verbalement et "sportivement performant". Puis une longue descente aux enfers sous la forme d'une grande tragédie du sexe entraînera l'idée de la déontologie et de la morale au coeur d'une maison close parisienne. "Bella" se doit de toucher le fond avant de prendre conscience de sa vertu et du précieux que l'on y met à l'intérieur. La mutation de l'esprit suit celle du corps.
L'expérience de la passion, de la luxure, du libre arbitre, de la prise de conscience de son être étant faites, Lanthimos se doit d'étayer son discours gainé d'un point de vue relié à sa signature visuelle. Ce sera chose faite avec l'habituelle "caisse à outils" du cinéaste remplie de focales oeil de boeuf ou bocal à poissons. On étire, on créer du relief par l'objet cinéma en faisant finalement son petit film dans son coin tout en croyant pertinemment que l'on rend service à son sujet. Mais la stérilité de la mise en image n'a seulement rien en commun avec son actrice qui ne demande qu'à être auscultée au plus près et non au travers d'un film alimentaire pour en augmenter la bizarrerie. L'effet de distorsion de l'image est tel qu'il scinde en deux la performance d'Emma Stone et l'habillage technique censé l'embellir. Cette carcasse de mise en scène emplie d'affeteries diverses se devine plus comme une coquetterie destinée à épaissir le genre fantastique et à rendre un hommage mou à la généalogie de Mary Shelley. On assiste à la dichotomie artistique de l'actrice écartée de l'équation visuelle par son metteur en scène. Certes, Pauvres creatures n'en oublie pas sa traçabilité littéraire mais voir l'oeuvre convertir l'essentielle de sa mythologie prométhéenne en rééducation socialo-cul implique que les grands récits d'antan ont laissé place aux réflexions de notre époque. Et force est le croire que l'ère victorienne même grimée en steampunk aurait pu aisément s'en passer.
De mémoire, jamais L'art du beau n'aura été aussi vain, aussi démuni de vie. Comme si l'architecture du décors passait par le filtre d'un esprit faussement torturé. La plasticité évoque les grandes heures de Burton ou Gillian ? A-t-on seulement cogité que les décors étaient l'émanation des corps et des esprits difformes des protagonistes et pas une pâte à sucre d'un gâteau d'anniversaire ? Là, réside peut-être la grande fragilité de Pauvres creatures galbée de l'effet chic de sa conception baroque où s'agite l'effet charme Emma Stone. La phase artistique ascendante de Lanthimos s'est elle-même étouffée par sa gourmandise formelle. Tel Icare se brûlant les ailes de cire près du soleil, Yorgos se sera cramé les gonades à la surface des sunlights. Assiste-t-on à la mise à mort d'un cinéaste sacré ?