On peut toujours se servir d'un drame tragique pour créer quelque chose de nouveau, même si ça n'a rien d'éthique, et c'est de ce point de départ que Godwin Baxster (incarné par un Willem Dafoe attendrissant au top) va créer son monstre de Frankenstein : Bella, jouée par Emma Stone.
La première partie en noir et blanc traduit l'enfermement de la jeune femme (si on peut qualifier son personnage ainsi). Je pensais un peu naïvement que les couleurs feraient leur apparition au fur et à mesure, comme la vision d'un bébé puisque c'est ce qu'est mentalement le personnage à ce moment, mais Lánthimos préfère jouer avec les focales pour nous souligner l'étrangeté et l'étroitesse du monde qui entoure sa protagoniste. Il y a la musique assez dissonante tout le long du film qui joue beaucoup sur la bizarrerie de cet univers également.
La phase d'apprentissage des codes sociaux est plutôt amusante mais ce n'est pas ce qui donne sa saveur au film qui suit assez platement les codes du récit initiatique. C'est gentiment survolé parce que la dimension sociale intéresse finalement assez peu le cinéaste. On parle de riches, de pauvres et de socialisme, mais c'est le rapport au sexe qui est surtout mis en avant. Bella Baxter est une enfant dans sa tête mais elle aime ça et ne comprend pas pourquoi c'est un tabou. C'est une préoccupation que le réalisateur semble partager lorsqu'on voit comment il aborde le sujet dans sa filmographie. Ici c'est dit plus frontalement : pourquoi bon sang de bois les gens ont honte du sexe alors qu'ils pourraient passer leur temps à ne faire que ça ? C'est un point intéressant que soulève Yórgos Lánthimos mais c'est toujours esquissé. Il préfère nous montrer du sexe à l'écran que creuser le sujet en profondeur à travers des questionnements plus poussés à l'image.
Malgré tout, comme j'ai adoré la direction artistique du film avec toutes ces couleurs vives, ces costumes fous, ce ciel numérique et cet humour pince-sans-rire, le film a plutôt bien marché sur moi. J'ai aimé voir le personnage de Bella évoluer même si sa progression semble s'arrêter net vers les deux-tiers du film, parce qu'elle a déjà tout compris à ce moment-là. Pour redonner un peu de rythme, le film prend une autre tournure lors des vingt dernières minutes, histoire de rendre ça un peu plus piquant et de montrer qu'on suit toujours un personnage bien naïf, mais l'effet de surprise ne dure pas longtemps, contrairement à ce que le son nous indique (on a comme une grosse sonnerie désagréable lors de l'une des dernières décisions de Bella, comme si son destin était scellé).
Ce ne sera pas l'un des grands films de cette année mais j'aime toujours autant le style et le ton du réalisateur qui met cette fois-ci ses personnages dans des environnements beaucoup plus exotiques que dans ses longs-métrages précédents.