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"Pauvres créatures !" fait partie de ces films desquels on ressort avec une furieuse envie de le revoir tant la richesse visuelle et thématique nous laisse cette impression de ne pas avoir assez de nos deux yeux pour tout voir...

Et pourtant, rien qu'en l'état, le constat est déjà incroyablement dense...

“Les révolutions coupent les têtes alors qu'il suffirait de changer les cerveaux.”

-Emerson

L'histoire , tout d'abord, est une revisite iconoclaste et feministe du mythe de Frankenstein...

A Londres, dans ce qui ressemble à l'époque Victorienne, un savant génial, Godwin Baxter (Willem Dafoe, comme à son habitude parfait) ramène à la vie une jeune femme suicidée et enceinte de presque neuf mois, en lui greffant le cerveau de l'enfant à naître... Il va l'appeler Bella.

Baxter porte sur son visage rapiécé, les marques d'une enfance malheureuse, qu'il essaye d'effacer en s'efforçant de créer la perfection... D'ailleurs, Bella appelle son "créateur", God (Dieu)...

Bella est son chef d'oeuvre, qu'il surprotége pour la préserver d'un monde extérieur forcément mauvais et monochrome... La première partie du film , celle de l'apprentissage, est donc évidemment en noir et blanc......

Bella n'est au début qu'une enfant capricieuse, espiègle mais si attachante ... Son vocabulaire, d'abord rudimentaire, puis sans filtre montre un point de vue qui révèle de l'évidence...

Sa candeur nous la rend si naturelle ... Le jeu très inspiré d'Emma Stone, n'y est pas étranger non plus...

D'abord rempli d'empathie, le jeune étudiant en médecine, Max McCandless , élève de Godwin Baxter, venu étudié la jeune femme, en tombe éperdument amoureux...

Mais Bella, comme tous les enfants, a envie d'aller plus loin et découvrir le monde...

Elle va d'abord, découvrir la sexualité... Qui va être une révélation solitaire avant de prendre le visage de Duncan Wedderburn, un avocat véreux et dépravé, prêt à tout pour la posséder... En particulier, l'emmener découvrir le monde en même temps que le plaisir charnel...

Chaque destination devient un tableau vivant racontant les aventures et les découvertes de Bella ... Lisbonne, Alexandrie, Paris ...

Ce voyage va devenir celui de la connaissance puis de la prise de conscience... Mais toujours avec cette innocence et ce détachement dont Bella ne se sépare jamais... On est pleinement dans le personnage voltairien...

Le bellâtre séducteur, Duncan Wedderburn, devient alors, à son grand dam, un amoureux transi qui ne peut plus vivre sans la jeune femme...

A travers lui, et la plupart des hommes croisés, Yorgos Lanthimos trace un portrait peu reluisant mais juste des hommes justement. Ils sont manipulateurs, possessifs, violents, lâches, veules...

Seul trouve (un peu) grâce à ses yeux Godwin, ce "père" aimant mais forcément defaillant car il ne peut apporter toutes les réponses...

“L'homme est un Dieu en ruines. ”, disait Emerson

Bella comprend alors que la vie est une succession d'épreuves qu'il faut avoir vécu pour être comprises ...

La femme peut devenir l'avenir de l'homme...

Rarement film aura été aussi loin dans le foisonnement de genres ainsi que dans la recherche esthétique... C'est un film fantastique mais aussi, une réflexion sur le devenir de l'être humain, une comédie, un musical (ah la merveilleuse scène où Bella apprend à danser...)

Le fond et la forme au service de l'histoire de ce conte philosophique à l'humour décalé et corrosif mais qui fait mouche à tous les coups....

Lanthimos va chercher des références chez ses prédécesseurs mais en y apportant aussi son sens du visuel unique (multiplication des angles de caméras, utilisation des lentilles, alternance couleur/Noir et blanc, une bande son parfaitement adaptée... Etc)

C'est un cinéphile et cela se voit... Chaque étape de la vie de Bella renvoie à des références bien précises.

Le début en noir et blanc rappelle tous ces films fantastiques de l'âge d'or d'Hollywood.... Le visage de Godwin rappelle forcément ces corps et visages déformés de "Freaks" de Tod Browning... Sans parler du Frankenstein de James Whale.... D'ailleurs.... Petit détail... L'un des acteurs emblématiques de ces films s'appelait... Bela Lugosi... Curieuse coïncidence...

Mais on pense aussi esthétiquement à Murnau, à Fritz Lang... Il y a quelque-chose de "Metropolis" dans ce navire surréaliste où Bella et Duncan voyagent...

Dans ces excès visuels mais aussi dans la vision sans filtre de la sexualité et du libertinage, on pense à Ken Russell (Celui de "Love" ou "les diables") où Pasolini aussi (la vision des morts à Alexandrie)...

A Buñuel et en particulier à "Belle de jour"pour la partie parisienne : Bella et l'héroïne du film de Buñuel sont toutes les deux à la recherche de leur féminité et de leur émancipation dans une maison close...

La recherche visuelle rappelle aussi celle de Coppola sur son ... "Dracula"...

La présence d'Hanna Schygulla, égérie de R.W. Fassbinder, dans le rôle de cette femme qui va initier Bella à la lecture n'est pas non plus anodine... Elle va lui faire lire Goethe et surtout Emerson, qui est cité à plusieurs reprises... Philosophe et poète américain, chef de file du transcendentalisme... L'homme est foncièrement bon mais corrompu par la société et ses valeurs...

Les références littéraires sont tout aussi importantes ...

Il ne faut pas oublier que Frankenstein fût une œuvre révolutionnaire en son temps car l'homme y défiait Dieu... Autre détail amusant... Godwin, le nom du savant du film est aussi le véritable nom de... Mary Shelley, l'autrice de Frankenstein... Troublant...

“L’idéal de la vie n’est pas l’espoir de devenir parfait, c’est la volonté d’être toujours meilleur.”... Emerson justement.

Une richesse que l'on pourrait continuer à décrire tant ce film est généreux ... On ressort avec les yeux brillants d'avoir croisé le chemin de cette merveilleuse étoile qu'est Bella et de l'avoir enfin vu sourire....

Car "Pauvres créatures !" est avant tout une œuvre sociologique profondément moderne et féministe portant également de manière indélébile la marque de notre époque...

Merci Yorgos Lanthimos et Merci Emma Stone....

Gonzo78
9
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le 4 févr. 2024

Critique lue 11 fois

Gonzo78

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