Avec Poor Things, Yorgos Lanthimos semble arriver à un premier point culminant de sa carrière. Cela tient dans un mouvement de libération esthétique et thématique. Il abandonne d'une part son habituelle mise en scène clinique pour une inspiration baroque et fantaisiste du meilleur goût. Qu'il s'agisse des costumes, des décors, de la photographie ou de la musique, le film baigne dans un écrin scintillant qui évoque souvent Terry Gilliam voire Tim Burton. Mais le vrai choc naît de l'émotion frontale générée par cet enrobage bien plus chaleureux qu'à l'accoutumée. Le personnage de Willem Dafoe apparaît comme un double du cinéaste, dont le regard sur sa créature Emma Stone mute progressivement de la distanciation scientifique la plus froide à une profonde empathie. Dans Canine, le parcours émancipateur d'un personnage féminin était marqué du sceau du plus profond pessimisme. Lanthimos prend ici la décision radicale d'offrir à sa Bella le plus beau des destins à la Candide, à l'aide d'un humour caustique ravageur qui nimbe l'habituelle tournure en ridicule des conventions sociales d'une réelle résonance sensible. Le grec ne peut plus se cacher, troquant enfin sa toge d'anthropologue glacial contre un humanisme tangible. Son meilleur film.