L’originalité de J’ai perdu mon corps (2019) titillait notre curiosité : dans quelle direction son inspiration guiderait Jérémy Clapin ? Ici, le réalisateur-scénariste fait le pari de (quasiment) tourner la page de l’animation tout en installant une ambiance fantastique à tendance SF qui captive assez rapidement. Malheureusement, le scénario présente quelques points faibles.
Elsa (Megan Northam, révélation de ce film) est une jeune femme qui travaille comme infirmière ou aide-soignante dans un EHPAD dirigé par sa mère Annick (Catherine Salée). Rien de bien extraordinaire jusque-là, même si on réalise qu’à la maison, le père (Sam Louwyck) a tendance à s’isoler dans une sorte de bureau où il semble « ailleurs ». Elsa a également un petit frère, Vincent. L’ambiance familiale cache un drame, puisque Franck le frère ainé d’Elsa a disparu trois ans plus tôt lors au cours d’une mission spatiale. On ignore ce qu’il s’est passé réellement, mais la disparition est actée au point qu’une statue représentant Franck trône au centre herbeux d’un rond-point. Visiblement, dans la famille personne ne se remet de la disparition de Franck, chacun.e y réagissant à sa façon. Pour Elsa, cela se concrétise par un manque de projets, raison pour laquelle elle végète dans l’établissement dirigé par sa mère.
Grosse surprise un soir, alors qu’elle prend l’air avec Vincent, Elsa entend Franck s’adresser à elle. Si d’autres se font appeler Jeanne d’Arc pour moins que cela, elle n’a aucun doute sur la réalité de ce contact. Mais elle n’arrive pas à savoir où Franck se trouve, ni comment il parvient à communiquer avec elle. Là, Jérémy Clapin n’ose pas - probablement parce que cela ferait prétentieux - faire dire à la voix de Franck « J’ai perdu mon corps » ce qui est bien dommage. Il préfère creuser cette situation extra-ordinaire en s’intéressant au pourquoi. Franck serait retenu en otage par des intelligences qui voudraient investir notre planète, même s’ils ne sont que cinq entités. On pense immédiatement à des extra-terrestres, bien que rien de tangible ne vienne accréditer la thèse. Sur Terre, ces entités se contenteraient de profiter des corps de cinq personnes pour prendre leur place, poursuivre leur existence, car seule compte la vie. Que feraient-ils de cette vie ? Mystère. Risquent-ils de se multiplier comme des virus ? Ils affirment que non. Bref, si Franck veut revoir son frère, Elsa doit trouver cinq humains, vivants, à livrer ces entités pour qu’ils prennent leur place.
Une bonne partie du film se concentre donc sur cette recherche, avec Elsa convaincue qu’elle tient là, la possibilité de retrouver son frère Franck. On la voit déterminée à suivre toutes les instructions qu’elle reçoit pour profiter de cet espoir fou. Ainsi, elle se retrouve à suivre un soi-disant chemin en forêt qui, de fil en aiguille, la mène vers une situation dramatique qui la place surtout dans une spirale infernale. Sa mère sent bien qu’Elsa file un mauvais coton et tente de jouer son rôle en lui faisant comprendre qu’elle est suffisamment jeune pour choisir la vie qu’elle veut mener. Sa question « Est-ce que tu veux être heureuse ? » va faire son chemin dans l’esprit d’Elsa, pour provoquer une décision plus saine que toutes celles qu’elle prenait depuis un certain temps. La conclusion laisse entendre qu’elle peut envisager l’avenir sereinement, ce qui sonne bizarrement car ce qu’elle laisse derrière elle ne va pas s’effacer sur un coup de baguette magique. De plus, nous spectateurs restons sur notre faim, car l’aspect SF tourne court, alors que Jérémy Clapin nous a un peu appâtés avec son début original.
Finalement, on sent Jérémy Clapin pris entre plusieurs tendances, avec son intérêt pour la SF, des moyens probablement encore limités par rapport à ce qu’il souhaiterait et un scénario bancal où de multiples questions restent sans réponse. L’aspect SF ressort avec de courtes séquences animées qui sonnent comme des souvenirs de séances TV qu’Elsa aurait partagées avec Franck dans leur enfance. Quant à ce que vit Elsa, le réalisateur s’en sort par du bricolage comme cette graine qu’elle place dans son oreille puis tente de retirer au cours d’une séquence à tendance horrifique. On se rapproche alors de la crédibilité zéro qui incite même à se demander si Jérémy Clapin ne chercherait pas instiller le doute dans nos esprits : et si Elsa sombrait tout simplement dans la folie ?
Pourtant le réalisateur utilise les moyens à sa disposition pour créer une ambiance d’étrangeté. Cela passe essentiellement par le travail sur la bande-son qui joue beaucoup sur le renforcement des effets visuels pour impressionner (musique signée Dan Levy (III)), quelques effets spéciaux, mais aussi par le travail avec la caméra : plongées, contre-plongées, plans en surplomb, etc. Alors, même si Jérémy Clapin instille le doute, son film laisse sur une impression bizarre qu’on pourrait résumer avec l’expression « Tout ça pour ça ! »