"Le mot persona vient du latin où il désignait le masque que portaient les acteurs de théâtre. Ce masque avait pour fonction à la fois de donner à l'acteur l'apparence du personnage qu'il interprétait, mais aussi de permettre à sa voix de porter suffisamment loin pour être audible des spectateurs. Dans sa psychologie analytique, Carl Gustav Jung a repris ce mot pour désigner la part de la personnalité qui organise le rapport de l'individu à la société, la façon dont chacun doit plus ou moins se couler dans un personnage socialement prédéfini afin de tenir son rôle social. Le moi peut facilement s'identifier à la persona, conduisant l'individu à se prendre pour celui qu'il est aux yeux des autres et à ne plus savoir qui il est réellement."
Ingmar Bergman est malade, immobilisé dans un lit. Il écrit le scénario de "Persona" en deux semaines. Sept jours plus tard le réalisateur est à Stockholm pour commencer le film. Celui-ci commence par un poème visuel, né d'un délire de l'artiste. Bien qu'incompréhensible lors de sa première visualisation, celui-ci prend tout son sens une fois le film achevé. Ce long-métrage parle de l'humain, de l'art et plus particulièrement du cinéma, il met en scène les frontières fragiles entre les êtres, et celles qui disparaissent entre la réalité et la fiction.
L’actrice Elisabet Vogler, alors qu’elle est sur scène à interpréter Electre, se retrouve d’un seul coup sans voix, elle est prise en charge par une infirmière s'appelant Alma. Cette dernière découvre que le silence de sa patiente n'a rien de pathologique. Le mutisme est la seule échappatoire qu'elle entrevoit à ses tourments, pour ne plus avoir à souffrir de cette dichotomie que ressentent les acteurs entre la représentation et la réalité tangible des choses. Elle tente de se couper du monde, mais comme le lui dit son docteur, le silence est une « cachette [qui] n’est pas étanche, La vie s’infiltre partout.». Sur l’île de Fårö, l'interprète d'Electre fait face à cette étincelle de vie en la personne d'Alma. Inversement au silence de la première celle-ci parle, rit, se livre dans les plus petits détails. Finalement, la passion enflamme l'infirmière qui se sent trompée lorsqu'elle découvre la lettre qu'Elizabet envoie au docteur, relatant ses confessions. Rupture, les deux êtres sont fondamentalement différents, le désir d'Alma de fusionner totalement avec l'aimé n'accouche que d'une face asynchrone, fusion des visages des deux protagonistes. C'est dans cette scène, où la vérité est racontée de deux points de vue différents, que le film atteint pour moi son moment crucial. L'amour et la souffrance qui en découle, brisent les frontières entre les êtres, et mettent en exergue la schizophrénie de l'aimante. Les deux personnages en ressortiront nouvelles, prêtes à réaffronter le monde.
Que dire du travail des actrices qui portent en elles ces rôles si proches mais si éloignés. Liv Ullmann est bouleversante en femme qui se mure dans le silence, et Bibi Anderson brillante dans son désir ardent de rapprochement. La photographie est magnifique et le travail sur le noir et blanc porte ses fruits, surtout dans cette scène ultime d'explication entre les deux femmes.
Un film qui parle de l'humain, arrivant à nous toucher au plus profond de notre être, que je recommande à tous ceux qui n'ont pas peur de se remettre en question. Un film qui parle de frontières, tout en brisant celle qu'il y a entre l'oeuvre cinématographique et notre vie.
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