Souvenir d’enfance, souvenir magique, la rencontre du petit Walt Disney avec la pièce de théâtre de J.M. Barrie a été un tel choc que son adaptation animée était pour le grand monsieur comme une évidence. Le projet mit près de 20 ans pour se concrétiser sous la forme qu’on lui connaît, considéré comme un des classiques des studios Disney.
La pièce avait déjà été adaptée au cinéma, mais avec des acteurs et les trucages de l’époque. Le choix de l’animation allait pouvoir rendre honneur à toute la fantaisie de l’œuvre, même si les animateurs allaient se confronter à de nouvelles difficultés. Donner vie à un petit garçon qui peut voler, flotter, virevolter, loin de tout standards habituel, en étant une.
Il fallut une équipe solide et talentueuse pour que Peter Pan et son univers s’anime, toute en souplesse et en fluidité, prêt à nous emmener avec lui dans son Pays imaginaire, fantastique coffre à jouets. Une retransposition tout de même sans trop de folies, avec des représentations réussies mais moins fourmillantes de détails, alors que le studio nous a habitués à des décors plus détaillés et aux nombreuses couleurs.
Et même si Peter Pan se destine aux enfants, on retrouve bien toute la richesse des thèmes qui vont avec le personnage, et qui auront inspiré bien des analystes et même des psychanalystes.
Il a été reproché au film sa sexualisation assez poussée. Elle est évidente avec le personnage de Clochette, petite fée consciente de son corps, aux longues jambes, à la taille fine mais aux hanches trop larges, selon elle. Une petite femme au caractère bien trempé qui ne dit rien, mais là encore par la magie de l’animation toute sa personnalité se lit sur son visage, sur son corps et par ses gestes.
Clochette est une belle et mutine créature, mais dont la jalousie vis à vis de toute personne s’approchant de Peter Pan la mène à certaines décisions irréfléchies. Elle n’est pas la seule personne à être obnubilée par le petit garçon volant, les belles sirènes sont redoutables elles aussi, Lily la tigresse semble moins farouche pour lui et même Wendy, la voix de la raison, veut l’embrasser.
Car Peter Pan est un garçon qui ne veut pas grandir, c’est sa nature. Il veut jouer, rigoler, partir à l’aventure, inviter les amis. Et il peut le faire dans un monde d’enfants, qu’ils soient perdus ou pas. Le farfadet volant est malicieux, égocentrique aussi, un peu capricieux. Mais aussi complètement insensible au désir que les femmes projettent sur lui mais dont il s’amuse, tant qu’il reste au centre de l’attention.
Sa confrontation avec le Capitaine Crochet n’est pas non plus innocente. Le décor de pirate qu’il amène, brillamment introduit dans sa présentation, est un fantasme d’enfant, mais ce monde d’adultes est malsain. Lui aussi est obsédé par Peter Pan, peut-être par sa fougue, par son irrévérence, par sa jeunesse éclatante, tout comme il est malade dès qu’il entend un tic tac, signal sonore d’un crocodile qui veut le croquer. Captain Crochet court après la jeunesse de Peter Pan mais le temps lui est compté.
Et tout cela Disney l’illustre avec une grande fougue. Le caractère précieux du Capitaine, homme du monde, attentif à sa personne, contraste avec celle de Peter Pan et des enfants maudits, sauvages et libres. Mais il est aussi un homme fourbe et cruel, malheur à qui le contrarie, un des plus beaux représentants des vilains Disney, car méchant, c’est évident, mais ambivalent, aveuglé par son obsession.
Ses rencontres avec Peter Pan sont des duels, qui se jouent sur les mots, entre provocations, bravades et mensonges, mais aussi par le fil des épées. L’action est virevoltante, exagérée avec humour, un aspect cartoon encore accentué par les confrontations avec le crocodile affamé qui voudrait bien lui manger un peu plus qu’une main.
Le film est tout de même plus maladroit avec ses Indiens, aux représentations assez typées, clichés d’une autre époque. Dans le récit, ils sont les cibles d’un jeu des enfants avant qu’eux-mêmes ne deviennent proies, les peaux-rouges étant alors égarés par une méprise causée par le Capitaine Crochet. Ils se rassembleront tous au sein d’une grande fête, symbole d’union et de respect mutuel. Mais cela en reste là, leur compagnie est acceptée comme un jeu qui se répète, à se chasser les uns et les autres. Les adultes et les enfants qui ne veulent pas grandir restent à leur place.
Avec des personnages tels que Peter Pan, Capitaine Crochet, Clochette, le crocodile ou même Mouche, l’assistant du pirate, le reflet des enfants invités dans ce Pays imaginaire n’a pas la même force, ils resteront en dehors, un peu fades. Même s’ils s’impliqueront dans ce terrain de jeu, il est évident qu’il ne leur appartient pas. Leur longue introduction dans le monde réel n’est pas anodine, ce décor londonien il leur faudra revenir dedans pour y trouver de la place et leur place. Le film ne met guère l’accent dessus, car le message n’est pas évident à accepter pour un enfant ou pour Peter Pan, mais l’enfance est merveilleuse car elle ne dure pas, il faut grandir.