Les chants les plus désespérés sont les plus beaux

Quelle heureuse surprise que ce film qui, malgré ses tonalités tragiques et sombres (ça parle de la mort à venir et de celle(s) à vivre), est rempli d'énergie vitale et de force conquérante. Un frère agonisant, acteur réputé mais invalidé par sa maladie, se fait secourir, épauler, materner, chérir et finalement accompagner vers sa pièce ultime (sa mort) par sa sœur, écrivaine en berne d'inspiration, sorte de mère courage pour avoir sacrifié sa carrière pour un mari ambitieux et soucieux de son avenir. L'argument scénaristique se nourrit de la confluence et des entrechocs des intérêts contradictoires des différents protagonistes, démontrant que la vie n'est pas un long fleuve tranquille. Un acteur diminué et maladif qui veut remonter sur scène alors que son metteur en scène essaye de l'en dissuader, une sœur se substituant à sa mère défaillante pour transvaser vers son frère un amour et une attention que cette dernière ne lui a jamais donnés, un mari tiraillé entre son désir d'évolution professionnelle et sa place de pater familias, un metteur en scène devant arbitrer entre les impératifs de la survie financière de son théâtre et la dette morale contractée auprès de l'acteur qui a fait sa renommée, une épouse déchirée entre son amour sororal et l'amour de ses enfants et de son mari.
Au-delà des drames personnels de chacun qui sont autant de choix cornéliens, la question du film est celle de la source de l'art, ici théâtral et littéraire, et de son principe comme conjuration de la mort. Un acteur ne peut survivre que tant qu'il joue, un écrivain n'a d'existence que si les chocs de la vie nourrissent son inspiration. Se surajoute ici la question de la gémellité, corps confondus dans la matrice utérine, puis dans leur existence future, dont le lien ombilical et puissamment affectif n'est jamais rompu, sauf à être tranché par la mort de l'un d'eux. Principe des vases communicants : ce qui s'en va de l'un va remplir l'autre. Ainsi la belle idée que celle du dialogue final dont la déclamation est rythmée par les touches d'un clavier d'ordinateur. La pièce se joue en même temps qu'elle s'invente de la même façon que le sang de l'une va irriguer les veines de l'autre au travers d'un réseau de tuyaux figurant le lien vital dans la séquence initiale. Symétrie des échanges : la sœur se remet à écrire face à l'imminence de la mort de son frère dont la maladie réactive son imagination. Retour aux sources de l'enfance à travers le conte, ce premier et primitif théâtre qui va forger la représentation symbolique de la vie future. La vie qui s'enfuit chez l'un pour se déverser chez l'autre par le renouveau de l'écriture. Deux principes définitivement liés : le théâtre et son livret, la vie et sa représentation, le virtuel du symbolique et la dureté du réel, la sœur et le frère jumeaux.
Nina Hoss endosse ainsi tous les rôles : mère de substitution pour son frère en remplacement d'une mère défaillante, sœur prévenante jusqu'à l'obsession, épouse sous influence jusqu'à abdiquer sa part de vérité d'écrivaine, mère lionne avec ses enfants. Face à l'inéluctable, elle redresse la tête et devient le pivot de l'histoire. On peut pardonner certaines faiblesses du film (une fellation inachevée entre homosexuels, une caméra sur l'épaule parfois trop nerveuse, la symbolique de la figure dans le bac à sable un peu trop surlignée ), mais la force émotionnelle de l'ensemble finit par nous emporter avec la conviction qu'il s'agit d'un des grands films de cet automne.

Cinefils
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le 23 oct. 2021

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