Je suis parti en live en écrivant tout ça, donc si vous cherchez proprement la critique du film, passez directement au II.
I Théorie dont on se fout
Ce que j’aime avec les genres codifiés, comme les westerns, les films d’action, ou en l’occurrence les films de sous-marins, c’est leur propension à l’analyse structurale. On connaît leurs clichés, les situations qu’ils comportent en général, les différents registres sur lesquels ils sont le plus susceptibles de jouer, et dès lors, passée l’étape plus ou moins longue de la découverte et de l’accoutumance, le point important, duquel on tire le plaisir de manger davantage du même plat, devient la variation. Non la variation des éléments mêmes, mais celle de leur agencement et de leur présentation, de l’angle d’attaque. L’originalité la plupart du temps vient non de l’innovation pure mais d’un simple changement de la focale. Ainsi par exemple la poésie amoureuse de la Renaissance, qui commence à sembler chiante à mourir quand on a lu une dizaine de sonnets, pourtant ce n’est pas dans le contenu qu’elle conserve son suc (même si, en analysant de plus près le contenu n’est pas toujours aussi accessible qu’on croit), mais dans les détails, ainsi que dans la comparaison avec d’autres poèmes. En fait, le plaisir peut être double, et les deux façons de jouir d’une œuvre réalisée dans un genre codé ne sont pas incompatibles. L’une est celle que j’ai dite, une espèce de plaisir intellectuel même dans les représentations les plus basses, quand on scrute les différences avec d’autres oeuvres, leurs influences, etc. bref, un plaisir «structural». En passant, la mauvaise foi ou les préjugés, assumés ou non, peuvent donner à ce plaisir une dimension de moquerie (je pense ici aux admirateurs de «nanars», dont je fais occasionnellement partie, même si mon truc c’est plutôt les bouses vides, soporifiques et oubliées car culturellement insignifiantes), voire l’annuler complétement (notamment quand on se dit par défaut quelque chose du genre: «les films d’action ça vole pas bien haut»). L’autre dimension du plaisir est intérieure, c’est-à-dire qu’on ne perçoit pas l’œuvre en tant qu’ensemble de modules arrangés dans un cadre général, mais s’y immerge. Ainsi que dans un rêve, qui ne tombe en morceaux qu’une fois qu’on est éveillé, de même cette perception de l’intérieur rend l’ensemble plus ou moins cohérent et bien fait. On peut ainsi profiter simplement d’une histoire «sans se prendre la tête» (expression d’ailleurs méprisante qui sous-entend que le premier genre de plaisir n’est pas valable, alors que par exemple pour la production de poésie amoureuse de la Renaissance ne s’apprécie guère qu’avec lui, du moins je ne connais pas de gens qui rentrent dans ces poèmes en s’exclamant: «quels sentiments merveilleux etc.», contrairement par exemple à la poésie romantique). Je pense que l’agencement des éléments structurants est facteur de la faculté de profiter selon la deuxième sorte de plaisir, et quand ils fonctionnent bien ensemble, on n’a pas besoin de chercher plus loin pour aimer. Cependant cette distinction est corrélée à celle de l’expertise. Quand on vu insuffisamment d’œuvres du même type, ou quand on a pas envie de se plonger dans ces comparaisons fatiguantes et qui paraissent spécieuses, on ne peut profiter pleinement selon le premier plaisir. Ça peut amener à critiquer les gens qui ont eu accès à un corpus plus grand, ou à ne pas comprendre leurs goûts. Je pense que c’est le même mouvement qui fait percevoir certains films comme de la «branlette intellectuelle»: c’est qu’ils visent un public porté à l’analyse et la comparaison; les créateurs de ce genre de films sont plus conscients des éléments qu’ils mettent en scène. Pourquoi les gens qui veulent jouir d’une œuvre de façon «active» seraient à écarter? Et puis on les considère comme capables de ressentir seulement ce plaisir-là, alors que la plupart du temps on bascule sans cesse entre les deux, tantôt on est happé par les événements à l’écran, tantôt on y pose un regard examinateur.
C’est pour ça que je donne l’impression de surnoter les films d’action, qui est mon genre préféré : parce que je regarde toujours les éléments qu’ils comportent quant au genre lui-même, et surtout où ils se placent par rapport aux actualisations les meilleures de ces éléments, ou comment ils essaient de s’en approcher, ou au contraire de les utiliser dans un contexte surprenant. Je pense pouvoir affirmer en avoir vu un grand nombre (des films américains d’action du moins), et pu établir un système de classement (personnel bien sûr: le structuralisme, quoi qu’on en dise, sera toujours retenu de s’envoler vers l’éther de la vérité par la subjectivité) d’une part avec un nombre limité d’éléments que je pense relever spécifiquement du genre et dont les scénaristes puisent obligatoirement pour leurs créations, d’autre part avec des exemples de ces éléments employés de façon aboutie au plus haut degré. Ensuite, je tends à valoriser ces éléments-là dans tout film, parce que c’est mon goût personnel, parce que dans l’action c’est justement l’action qui m’excite (donc parfois même si je me rends compte des défauts structuraux, je peux être ravi par ces scènes, elles agissent sur mes émotions indépendamment de mon intellect).
Bref, cette petite parenthèse pour dire que j’aime les films de sous-marins à cause d’une part de leur appartenance à un genre codifié, d’autre part de mon goût personnel pour leurs thèmes et les situations qu’ils mettent en scène. Cependant je n’y suis pas «expert», contrairement aux films d’action (expert dans le sens de «rompu à», j’en ai attentivement vu toupl1 quoi). En tout pour tout j’ai vu 4 films de sous-marin, pas des moindres certes, mais je ne pense pas que c’est assez, notamment parce que tout un pan du temps me reste inexploré (en gros tous avant Das Boot). Pour l’instant donc je peux citer: À la poursuite d’Octobre Rouge, Abîmes, Das Boot. On peut même dire que j’étais ingénu quand je m’étais mis pour la première fois à Phantom, parce que j’avais pas encore regardé Das Boot, quand même d’un tout autre niveau.
II Critique un peu trop longue
À mon premier visionnage de Phantom, j’avais pensé donc que c’était un film honnête, sobre, clair, qu’Ed Harris jouait à merveille le capitaine hanté par son passé, que Duchovny par contre avait l’air de s’ennuyer (je veux dire encore plus que d’habitude), que mon appât le plus important, Lance Henriksen, m’a encore déçu en n’ayant que 3 minutes de scènes au tout début du film. La plus grande partie du film est calme, et c’est un calme bienvenu, presque apaisant (malgré les retournements de situation), et la fin soudain basculant dans le fantastique s’intègre très bien au reste. La chanson des crédits (Jeff Rona - An ocean away) m’avait marquée par la tristesse et la sincérité du ton; elle prolonge très bien l’atmosphère instaurée par la fin, et le tout forme un cercle cohérent, entre le départ précipité des mariniers, qui doivent quitter leurs familles et leurs femmes pour obéir au devoir, et cette chanson qui prend le point de vue d’une femme qui attend son mari en mer et se sent unie à lui malgré la distance et sa situation inconnue. Au final, j’avais pensé que le métrage traitait moins du Phantom du titre que de l’amitié du capitaine et du premier officier, ainsi que des rapports entre les membres de l’équipage.
J’avais l’intention de rédiger une critique alors, mais la flemme m’avait empêché, et ne voulant pas me désister, j’ai laissé le film décanter quelque temps avant de le revoir, et mieux appréhender ses qualités et défauts.
Concernant les personnages principaux, le tout se situe plus ou moins du point de vue du capitaine, qui a fait des erreurs par le passé qui le hantent, et lui donnent un air grave. Ed Harris dépeint à cet égard très bien son personnage, et dans toutes les situations il est crédible (je sais pas si ça valait la peine de préciser, puisqu’il est excellent dans tous ses rôles). Un point particulier, qui a trait à l’écriture du personnage, qu’à l’interprétation: le film ose introduire le sujet, assez complexe ai-je compris, de l’épilepsie, et tente de montrer artistiquement (ou de façon réaliste? je ne suis pas sûr) le désordre mental que produit une crise et la récupération. J’en parle, parce que cette maladie me fascine, parce qu’elle force d’accepter de perdre le contrôle à tout moment (d’ailleurs en faire la faiblesse du capitaine, Ed Harris, qui incarne le plus souvent des figures de l’autorité, est d’autant plus intéressant et juste), et qu’elle implique par conséquent d’appréhender le monde qui entoure encore et encore.
J’ai changé d’avis sur Duchovny et son jeu en revanche, en le revalorisant: j’avais peu fait attention la première fois au fait qu’il ne m’a évoque Mulder qu’au tout début, mais qu’assez rapidement il n’est perçu que comme le personnage qu’il joue actuellement, c’est-à-dire un agent du KGB dangereux et très déterminé. En examinant à nouveau, je pense que c’est un signe d’un bon jeu d’acteur, puisque le personnage n’est pas dans la veine du looser sarcastique qu’il joue d’habitude (y compris dans X-Files, où son jeu ne s’y réduit évidemment pas), non, il est au contraire un antagoniste qui intériorise ses émotions et apparaît menaçant, au regard intense et scrutateur. Il montre très bien ses qualités également quand il faut user de violence. C’est de façon froide que cet agent tue, et on voit que l’idée passe devant les sacrifices nécessaires. Quand je parle de ça, je pointe non le scénario, car dans n’importe quel film d’action on voit des méchants tuent facilement, mais plutôt le jeu lui-même, ce que l’acteur dégage.
Les autres, à part William Fichtner, sont plus en retrait, et même lui est moins développé. Ce qui est surtout mis en avant c’est sa dédication à l’honneur de son capitaine, l’amitié qu’il lui porte. Ça va sans dire qu’il s’acquitte de sa tâche admirablement. En fait, tout le casting est très bon, ou du moins, fort bien dirigé (et j’avoue que j’ai toujours du mal à départager ce qui provient de l’acteur lui-même et ce qui est dû à la direction).
Les destins et les évolutions des personnages sont de manière générale fort satisfaisantes, avec une exception notable, du moins je le pense. C’est celle de l’officier politique, qui est représenté comme balançant sans cesse entre sa fidélité au capitaine et sa fidélité au parti, c'est-à-dire à un idéal et toutes les conséquences qui en découlent. Les agents du KGB en effet agissent non au nom d’une hostilité gratuite contre le capitalisme, mais à cause d’une crainte justifiable des avancées supposées de l’ennemi capitaliste; ils croient que les Etats-Unis, parce qu’ils ont construit un système de défense contre les attaques nucléaires soviétiques, peuvent attaquer sans riposte, et donc attaqueront forcément. Le point de vue du capitaine est davantage moral, et consiste à traiter avec respect et modération son ennemi, et d’autre part à agir au pour son équipage. Bref, en tout cas, l’officier politique est toujours prudent, hésite avant de se prononcer et ne peut choisir un point de vue non diplomatique; cependant le choix sera obligatoire par la suite. C’est là que le problème intervient, car l’écriture pour lui s’arrête dès qu’il décide définitivement: il est tué juste après. Déjà, c’est un gros cliché qui contraste avec l’écriture sobre des autres, et en plus ça sent le schématisme de son écriture—il apparaît plus comme une fonction que comme un personnage (enfin, a posteriori bien sûr, parce que pendant qu’il hésite, il est crédible).
Le film lui-même dans son ensemble est très clair quant à l’histoire, aux enjeux, aux rapports entre personnages, presque didactique. J’ai aimé le développement lent, qui met toutes les pièces en jeu, puis la partie plus remplie par l’action, assez efficace. Il n’y a pas de faux suspense, et pour moi c’est un point fort, car souvent on met des personnages en danger de façon qui semble artificielle; ici, l’œil aiguisé peut voir tout ce qui se prépare, mais ça ne désamorce pas tout ce qui est établi, car les enjeux sont sur deux plans, l’émotionnel et le rationnel. Ce n’est donc pas le suspense qui structure le tout (il est quand même présent), mais à la fois l’attachement aux personnages et la beauté très carrée de l’histoire. La deuxième partie, où deux camps combattent dans le sous-marin (avec une petite partie à la Die Hard), culmine avec une scène d’action (fusillade) assez cool, et sans dysharmonie avec ce qui a précédé; ç’aurait été plus intéressant, je pense, de ne pas en mettre, ç’aurait été un défi supplémentaire, mais qu’elle y soit semble logique et bien amené.
Le gros avantage du film est d’avoir été tourné dans un vrai sous-marin russe d’une part, et d’autre part de disposer de CGI des extérieurs assez crédibles, qui n’en font pas trop. Ça ajoute évidemment au sentiment de réalité du scénario et indirectement à l’attachement aux personnages. Personnages qui, je signale, n’ont absolument pas l’air russes, mais une pirouette inverse la situation. En effet, personne en VO n’a l’accent russe, on y parle normalement. Les américains, qui aiment prendre leurs audiences pour des imbéciles (et les audiences apparemment aiment ça en retour), essaient de marquer l’appartenance culturelle par des accents, plus que par le respect des langues de chacun; ça donne des choses aberrantes et fait saigner les (mes) oreilles. À titre d’exemple glorieux, je cite K-19 ou encore Enfant 44 (vraiment affreux, j’ai l’impression de voir un truc filmé pendant la guerre froide...). Le réalisateur de Phantom l’évite (béni soit-il), ce qui ajoute aussi au réalisme et au point de vue «humain», non «politique», de l’ensemble. C’est comme pour dire: ce sont les conflits au sein de l’équipage qu’il faut suivre, et non le fait que ce soit un équipage russe.
Je devrais toucher deux mots (dans cette critique involontairement si prolixe) de l’épilogue. Le film se compose de deux parties: l’une, le noyau principal de l’intrigue, se passe dans le sous-marin, et l’autre est composée des prologue et épilogue. Cette dernière est très importante, car elle oriente vers une perception par l’affect de la première. Le fantastique de l’épilogue (simili-fantastique, devrais-je dire) , quoique original, n’est pas extrême et discordant avec le reste. Le prologue logiquement y tend, les petites touches durant l’histoire principale, le démons du capitaine, le ton mélancolique, y tendent. Le fantastique est contrôlé et structurellement justifié.
Petit bémol pour la fin cependant: les réactions de la femme d’Ed Harris et de sa fille m’y semblent trop appuyées et surtout clichées («S’il savait combien je suis fière de lui. —Il sait, ma chérie, il sait.» plus usé tu meurs): la subtilité et l’intériorisation auraient été plus judicieuses.
Malgré toutes les qualités, je ne pense pas que le film se prête aux multiples visionnages; deux m’ont suffi largement. Néanmoins, comme représentant du genre, il respecte les promesses et attentes (sauf celle d’avoir Lance Henriksen dedans, sur quoi il ment éhontément en le créditant 4ème au générique), et comme variation, il est surtout intéressant par l’alliance avec le fantastique et cette atmosphère de calme triste qu’il dégage.