Incontestablement, Phantom of the Paradise est un OVNI de l'Histoire du Cinéma. Mêlant maintes inspirations musicales, littéraires ou cinématographiques, il devient particulièrement riche et profond, et stylistiquement incomparable. Sur mon DVD, il y a une présentation de Gerrit Graham, dans laquelle il fait une promesse : "ce film va changer votre vie". A vrai dire, je ne pensais pas que ce soit si vrai...
Phantom of the Paradise nous projette dans le monde du show-business, le rock des années 70, qui induit des successions d'artistes qui passent vite de mode, l'écrasement de l'artiste créateur, la drogue et la débauche, ou bien entendu la réputation du rock de l'époque comme étant l'apologie de Satan. Le satanisme fait en effet office de fil rouge, Swan étant lui-même l'incarnation non-dissimulée du diable, et le nom de sa salle, le Paradise, n'est qu'ironie.
Cette thématique est d'ailleurs commune au film et à l'adaptation musicale dont il fait sujet : le Faust de Goethe. Winslow, notre personnage principal, se retrouve dans la même situation que le personnage de Faust, à devoir conclure un pacte avec le diable. Le réel et le fictif se rencontrent, ce qui donne cette étrange impression que Swan est incontrôlable et omnipotent. Winslow est quant à lui dépassé et happé par les évènements, ce qui peut se traduire par le fait qu'il soit majoritairement filmé en courte focale, lui accordant ainsi un style visuel à part.
Le film cherche à obtenir une part de réel en utilisant la satire, la critique de l'industrie musicale de l'époque. Il s'agit d'un art géré par l'argent et le pouvoir. Paul Williams, qui interprète Swan, est lui-même acteur de cette industrie - tout comme son personnage - et c'est d'ailleurs lui qui composera la géniale bande-son du film. Brian de Palma dit lui-même, à propos de la genèse du film :
J’ai eu l’idée du film dans un ascenseur en écoutant une chanson de Beatles en version musak. Je me suis dit : ils prennent une œuvre magnifique et originale, et ils en font une musique d’ascenseur…
Brian de Palma
Swan et Winslow possèdent d'ailleurs beaucoup de points communs qui accentuent l’ambigüité de leur relation. Winslow devait à l'origine être incarné par Paul Williams, et Swan est, en réalité, le compositeur des musiques de Winslow. Ils sont également les deux seuls personnages à adopter la vue subjective, Swan lors de sa première apparition, Winslow lors de sa métamorphose. Même leurs morts respectives sont intrinsèquement liées. Mais le parallèle le plus frappant, c'est le passage où Swan filtre la voix de Winslow pour la perfectionner : alors qu’il en est satisfait, on réalise qu'il ne s'agit pas de la voix de Winslow mais de celle de Swan.
Bien qu'aucun film ne s'apparente vraiment à Phantom of the Paradise, il reste typique du style de De Palma. On y retrouve ses codes habituels, comme ce split-screen brillant, en plan-séquence, qui joue avec le point de vue des caméras, ainsi que l'influence omniprésente de Hitchcock dans quelques scènes de voyeurisme, que ce soit à travers une vitre ruisselante ou un enregistrement vidéo, ainsi que dans sa parodie burlesque de la scène de la douche de Psychose, lui permettant de rire doucement des accusations de plagiat qui planaient sur Sœurs de Sang.
Devenu culte et incontournable, Phantom of the Paradise est pour moi l'un des films les plus aboutis de Brian de Palma. Le casting est absolument parfait, notamment Paul Williams, au charme éblouissant, ou le fougueux Gerrit Graham - dont la courte mais notable apparition inspirera certainement le Rocky Horror Picture Show - et tous s'éclatent et contribuent à rendre le film unique, par son atmosphère déjantée, mystique et spontanée. Je ne peux que recommander de faire un tour du côté de chez Swan.