Au fond, De Palma n'a jamais été un réalisateur "musical". Tarantino et Wim Wenders vont réaliser des scènes parce qu'ils pensent déjà à un montage. De Palma est un visuel : il tourne d'abord la scène. Ho, il sait très bien choisir ses musiques, comme dans "Scarface" (que je n'aime pas, mais c'est un bon exemple). Mais c'est la photogénie qui l'intéresse d'abord.
Et là, il décide de réaliser un opéra rock revisitant le mythe de Faust. Avec dans le rôle du méchant, un producteur de musique adulé, Swan, une sorte d'hybride entre Elton John et Andy Warhol, propriétaire d'une maison de disque, Death Records, représentant un oiseau mort, et aussi d'un manoir baptisé Swan's Edge ("Du côté de chez Swan). Swan reçoit un jeune John Lennon en devenir, Winslow Leach, qui compose une cantate pop sur bien des partitions. Swan, qui va bientôt ouvrir une nouvelle salle de concert, le Paradise, utilise la cantate mais éconduit Winslow. Au cours d'un cambriolage raté, Winslow est défiguré par une presse à disques. Il devient le Phantom du Paradise, porte un masque d'oiseau, et suit les préparatifs du Paradise. Il signe un pacte avec Swan, qui s'engage à produire Phoenix, une chanteuse inconnue que Winslow a remarquée, qui devient un succès, mais que Swan entraîne vers la drogue et la perdition. Au cours d'un concert où Phoenix doit être assassinée, les deux hommes règlent leurs comptes.
Je n'aime ni la pop, ni les opéras rock, et je n'ai pas été très sensible aux numéros musicaux (je veux dire par là que spontanément, je ne vais pas les chantonner dans la rue). J'ai bien sûr bien ri devant Beef, le gars censé supplanter Phoenix, parodie de glam-rockeur qui joue très bien. Mais à de rares exceptions près, je n'ai pas été transporté. Ce qui est normal, puisque les musiciens dépendant de Swan doivent donner l'impression d'être commerciaux et vulgaires.
Le film a sa propre poésie.
D'abord les décors : cette porte dérobée derrière un miroir qui se déclenche en tirant sur une lampe ; ce manoir où la cape du Phantom se découpe de manière si cinégénique ; le studio d'enregistrement, où l'on tente de le murer ; le lit en forme de disque d'or de Swan, symbole de sa démiurgie ; les coulisses du Paradise, dont les éclairages rouges sont presque trop symboliques.
Ensuite la narration. Le cinéma de De Palma a souvent une structure qui rappelle l'opéra : l'histoire est un peu teubé, mais la mise en scène, le lyrisme lui donnent une intensité étonnante. Et ici, on brasse des références à la pelle, que ce soit du Hitchcock à tout va (de "Psychose", avec une énième reprise de la scène de douche, ici close sur un... déboucheur de chiottes, à "L'homme qui en savait trop"), mais aussi "Le portraît de Dorian Gray". Au niveau musical, il y a des parodies de rockabilly, des Beegees, des Beach Boys, du glam rock (je connais pas assez pour identifier, désolé)...
Enfin, les acteurs sont excellents. Et c'est tout le génie de De Palma : prendre de parfaits inconnus et, par la magie du cinéma, en tirer le maximum, au point que l'on a vraiment l'impression de les avoir déjà vus quelque part. Et ici, sa direction est magistrale : William Finley dans ce rôle de fantôme pathétique aux gestes saccadés d'oiseau aux ailes brisées ; Paul Williams, auteur de la bande son, et producteur démoniaque ; Georges Memmoli, dont j'aurais juré l'avoir déjà vu quelque part, en sous-fifre vulgos qui met les mains dans le cambouis ; Gerrit Graham en Beef, savoureux de bout en bout ; et bien sûr la bouleversante Jessica Harper, image de la pureté, de l'authenticité que l'on voit avec horreur se dénaturer au contact de la célébrité. Sa voix est vraiment envoûtante.
On pourrait résumer le message du film dans ce bref échange entre Winslow et Phoenix :
Phoenix : - "I'll give them (le public) what they want".
Winslow : - "But they'll want always more. You'll never be able to give them what they want, they will never have enough".
Alors bon, ce n'est certes pas le premier film qui dit que la célébrité, ce n'est pas bien si elle s'accompagne d'une perte d'authenticité. Et encore une fois, en tant que comédie musicale, ce n'est pas aussi endiablé qu'un "RHPS". De Palma sabote d'ailleurs sciemment le montage de la scène finale de mariage, dont l'enchaînement de plan est absurde. Mais il y a des fulgurances, tant visuelles qu'auditives, et ces fulgurances restent et émeuvent.
Vu à la Filmothèque du Quartier Latin.