Entre mille, entre un million peut-être, je reconnaîtrai ton visage. Il aura pour toujours les contours de notre amour et dans tes yeux pour toujours je lirai notre histoire, unique et indélébile, à jamais gravée dans nos pupilles jumelles. Au flamboiement de nos corps à l'instant des retrouvailles nous saurons que nous aurons vaincu l'oubli et le temps.


Jamais d'autre que toi.


Nelly revient de loin. Peu l'attendaient d'ailleurs : hormis son amie Lene, toute sa famille a été décimée dans les camps de concentration. Son visage nous demeure un mystère pendant un bon moment. Seule la réaction d'un policier nous indique que, sous les bandelettes de momie, se trouve une femme défigurée. Choquée et sans parole, Nelly va chercher à retrouver l'homme qu'elle aime, son mari, son Johnny, un pianiste qui a assisté, impuissant, à son arrestation quelques mois plus tôt. Une quête qu'elle entame au grand dam de Lene, convaincue cet homme a trahi son amie et n'en veut qu'à son argent.


La mise en scène très soignée de Christian Petzold - notamment lors des dialogues ou lorsqu'il filme les réactions des personnages - m'a énormément plu, autant que la belle mise en lumière qui magnifie les acteurs de la plus poétique des façons.


Nelly finit par retrouver son amour, mais celui-ci ne reconnaît pas dans cette femme voûtée, triste, grisâtre, cernée, la flamboyante chanteuse qu'il a aimée. Il lui trouve bien une ressemblance qui va lui donner l'idée d'un stratagème : il propose à la jeune femme de se faire passer pour son épouse (qu'il tient pour morte), de mettre en scène son retour du camp et ainsi empocher ensemble l'argent dont a hérité la vraie Nelly. Un sacré magouilleur, le Johnny.


Il l'installe chez lui le temps de lui apprendre à devenir Nelly, ressort intéressant du scénario qui fait du spectateur le complice de cette femme et dont il attend impatiemment qu'elle se révèle enfin à l'homme qu'elle aime. J'ai particulièrement aimé ces instants de doute dans son regard à lui, lorsqu'il lui demande notamment d'imiter l'écriture de feue sa Nelly : son trouble, puis sa raison qui lui dit que c'est impossible, et le spectateur qui trépigne en se demandant quand, mais bon sans QUAND va-t-il comprendre ? Comment peut-il d'ailleurs NE PAS reconnaître sa femme ?


Les scènes de promenade ensemble, si solaires et touchantes, ses phrases à elle qui distillent des éléments biographiques troublants à son oreille à lui, le décor romantique et la subtile mise en tension de l'attente : j'ai tout adoré, emportée par une vague sentimentale qui m'a assiégée.


L'arrière-plan historique, les Juifs qui ne sauraient pardonner aux Allemands, les biens spoliés, les projets de départ en Palestine pour Nelly et Lene : tout cela m'a semblé assez secondaire en comparaison avec l'intrigue amoureuse au coeur de Phoenix.


Et Nelly est bien cet oiseau qui renaît de ses cendres grâce à deux superbes scènes qui me resteront longtemps, portée par l'interprétation élégante et mélancolique de Nina Hoss.


La première, c'est celle de Johnny qui la découvre chez lui, les cheveux teints, maquillée, dans sa (ravissante) robe portefeuille rouge et ses talons hauts : que se dit-il à cet instant ? Qui voit-il ? La mise en scène est suffisamment subtile et brillante pour laisser à chacun la possibilité de se faire sa propre idée. Ce face à face silencieux est une acmé dramatique totale qui annonce déjà le dévoilement final.


La seconde, c'est la dernière et je n'en dirai rien pour vous laisser tout le plaisir de la découverte, la joie de vivre un véritable instant de grâce lumineuse. Ce chant qui part d'un murmure pour se muer en vocalises cristallines haut placées : un véritable chant d'oiseau (le Phoenix du titre), une poétique mélopée d'amour, douce et jazzy, inspirée de Shakespeare, qui vous prend ses bras, vous berce, vous envoûte - et vous donne un peu envie de pleurer aussi.


Une conclusion de toute beauté pour ce film à la fois pudique et déchirant, à voir absolument.


[Et pour me rappeler cette scène et son texte sublime...]
[https://www.youtube.com/watch?v=rkAHi2wNSsc]1



Speak low when you speak love
Our summer day withers away too soon, too soon
Speak low when you speak love
Our moment is swift
Like ships adrift
We're swept apart, too soon
Speak low
Darling, speak low
Love is a spark lost in the dark too soon, too soon
I feel wherever I go that tomorrow is near
Tomorrow is here and always too soon
Time is so old and love so brief
Love is pure gold and time a thief
We're late, darling, we're late
The curtain descends
Everything ends too soon, too soon
I wait, darling, I wait
Will you speak low to me, speak love to me and soon
Speak low
Darling, speak low
Love is a spark lost in the dark too soon, too soon
I feel wherever I go that tomorrow is near
Tomorrow is here and always too soon
Time is so old and love so brief
Love is pure gold and time a thief
We're late, darling, we're late
The curtain descends
Everything ends too soon, too soon
I wait, darling, I wait


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le 12 janv. 2017

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