Lorsque John McTIERNAN délivre au monde Piège de cristal (1988) il n’a pas juste réalisé un énième film d’actions qui rejoindra la cohorte des films de ce genre qui émaillaient les productions hollywoodiennes d’alors et où le héros tout en muscles et vertus patriotiques dézinguait du méchant sans que jamais ses munitions n’arrivent à pénurie ou que les explosions ne l’atteignent. Non Piège de cristal va bien au delà.
D’abord sur sa gestion de l’espace et du temps il renoue avec la règle du théâtre antique de l’unité de temps et de lieu, ce faisant sa narration n’est plus diluée dans une série de décors qui incitent à vouloir explorer des axes de scénarios superflus et vains. L’essentiel et rien d’autre, un gratte ciel en construction sera la scène principale et deviendra un personnage à part entière dont l’évolution au cours du récit influera directement sur les choix et les actions des protagonistes. Une fête d’entreprise pour marquer le réveillon de Noël servira d’alibi non seulement à l’attaque planifiée mais aussi à expliquer pourquoi seuls les participants à cette fête sont présents ce soir là. Des méchants aux motivations secondaires pour le déroulement du scénario mais animés d’une motivation infaillible et d’un déterminisme poussé à son paroxysme. Un héros ou plutôt un anti héros, qui se retrouve confronter bien malgré lui à devoir agir pour sauver des innocents. Enfin des éléments extérieurs qui tant du côté des otages pour les terroristes ou de côté des forces de l’ordre pour John McClane viendront tour à tour contrecarrer les plans ou participer à leur bon déroulement.
S’il est policier, McClane n’en demeure pas moins un individu lambda qui ne peut s’enorgueillir d’une musculature particulièrement imposante, ni d’une miraculeuse faculté à ne pas saigner, il est un homme en instance de divorce dont la virilité même est remise en cause et qui face à l’adversité et au danger semble mû par l’instinct. Sa réponse sera à la hauteur de ses capacités et s’il avoue des faiblesses il les compense grâce à un humour, prétexte à camoufler sa peur d’avantage qu’à réellement défier ses adversaires.
Ses adversaires eux, bénéficient de l’effet de groupe et d’une préparation minutieuse, ainsi que des moyens logistiques, technologiques et en personnels pour garder le contrôle sur les manettes et jouer leur jeu en dominant la partie.
L’habit, si on a pour habitude de dire qu’il ne fait pas le moine, illustre néanmoins ici le fossé qui sépare nos antagonistes, d’un côté des costumes impeccables et luxueux, en particulier celui du chef du commando, Hans Gruber, de l’autre un marcel et des pieds nus, mais tout comme au fil des événements et des choix tactiques qu’il applique McClane parvient à infléchir les rapports de force, s’emparant d’armes et mettant à mal le moral et la cohésion au sein du groupe de terroristes, ces habits pourtant symboliquement supérieurs à la tenue inapproprié de McClane n’en sont pas pour autant des garanties et des protections adéquates.
S’il ne peut pas trop compter sur les otages, l’un d’eux suite à une initiative malheureuse et guidée par l’égoïsme seul ira même jusqu’à le mettre en danger lui et les autres, McClane jouit cependant d’un allié à l’extérieur en la personne de l’officier Powell qui fera le lien entre lui et les autres acteurs du récit. Hélas cette coopération entre deux hommes qui ont en commun leur banalité, sera discutée et gênée par une hiérarchie plus prompte à envoyer les tanks et les hélicoptères qu’à prendre en considération l’avis d’un seul élément, même si celui ci se trouve au cœur de l’action. L’occasion pour John McTIERNAN d’un petit taquet à la politique reaganienne tant sur le plan international et son interventionnisme aveugle qu’en sa foi inébranlable en la doctrine du libéralisme qui place l’argent au centre des intérêts et des préoccupations, ainsi les terroristes qui ne sont que les vulgaires voleurs identifiés par Houx Gennaro McClane, ne peuvent ils pas masquer leurs réelles motivations bien longtemps derrière d’obscurs idéaux révolutionnaires ou socialistes, tout comme l’administration Reagan n’a pas tenu longtemps à justifier ses choix politiques par d’autres buts que le profit.
Cette richesse dans l’exploitation et la lecture à degrés associées à une maîtrise de la mise en scène, qui encore aujourd’hui fait figure de référence, la qualité d’écriture des personnages, des dialogues savoureux qui restent en mémoire longtemps après la fin du générique font de ce film une pièce maîtresse du cinéma d’action. Atteignant aujourd’hui le statut de film culte, et pouvant sans mal être considéré comme une pierre angulaire dans ce genre, un genre où deux écoles se font face, une première qui privilégie le spectacle et le grandiloquent et une seconde qui à ces considérations aimé adjoindre des notions d’art et de réflexions profondes quant à notre société.
Bruce WILLIS excelle à incarner ce flic impliqué malgré lui et rejoint le cercle alors dominé par Sylvester STALLONE et Arnold SCHWARZENEGGER des acteurs majeurs du film d’actions, et en face délivrant une prestation inoubliable le regretté Alan RICKMAN pour un méchant devenu iconique, jusqu’à sa chute elle aussi devenue une image incrustée dans la rétine populaire.