Alors que tout le monde a encore naturellement en tête l'inoubliable dessin animé de Disney, les adaptations des "Aventures de Pinocchio" de Carlo Collodi ont connu moult variantes, que ce soit la série-live de 1972 ou celle, animée, de 1976, l'essai américain sympathiquement boudé de Steve Barron ou bien encore le navet fatigant et bariolé de Roberto Benigni. Mais ce Pinocchio version 2019 est réalisé par Matteo Garrone, l'auteur de Gomorra et Dogman. Le touche-à-tout italien revient donc en trombe avec cette nouvelle adaptation qui se veut particulièrement fidèle à l’œuvre originale de Collodi tout en apportant une qualité visuelle plus ou moins inédite, Garrone ayant déjà touché au fantastique curieux avec Tale of Tales.
Le long-métrage peut s'apparenter à un blockbuster italien, le gros budget loué au film permettant au réalisateur de proposer des costumes et décors sobres mais réalistes tout en s'offrant un imaginaire bien particulier, qui peut autant désarçonner qu'impressionner. Mais ce mélange pas toujours réussi de prosthétiques et de CGI rend le long-métrage inégal voire déstabilisant. Ainsi, le look du héros-titre est une prouesse en matière de maquillages mais ses mouvements semblent "normaux", on a donc du mal à y voir une marionnette vivante. Pareillement pour certains personnages animaliers fidèlement retranscrits à l'écran, certains étant visuellement discrets (le Renard et le Chat) tandis que d'autres semblent tout droit sortis d'un cosplay cheap (le Criquet, la Servante Escargot et le Poisson à visage humain sont tous effrayants).
Autres points négatifs : le rythme du film contient de sacrées lenteurs (les gosses devront s'accrocher) et l'interprétation reste clairement difficile à apprécier si on a du mal avec le jeu italien. Beaucoup de scènes dites "drôles" semblent ne jamais faire mouche quand d'autres sont les simples exagérations inhérentes à la comédie italienne, poussée par des acteurs comme Massimo Ceccherini, Teco Celio ou - fait amusant - Roberto Benigni qui n'incarne plus le pantin parlant mais ce bon vieux Gepetto, probablement le meilleur personnage du film et l'un des meilleurs rôles pour Benigni depuis fort longtemps. Le jeune Federico Ielapi, interprète de Pinocchio, s'avère quant à lui un mauvais choix de casting, tout simplement : jamais convaincant, parfois énervant, le héros-titre joue moins bien que l'animatronique du Jim Henson's Creature Shop.
Toutefois, force est de saluer la direction artistique optée par Garrone, alternant efficacement entre réalisme appuyé et féérie touchante, photographie tour à tour éclatante (la Toscane, chaude et jaune) et lugubre (certaines scénettes plus sombres et désespérées). Le metteur en scène livre ainsi une adaptation en soi réussie du conte mais qui pourra ne pas faire l'unanimité, le parti-pris visuel décalé et parfois rustique pouvant rebuter aisément. En somme, parfois sublime, parfois ennuyeux, de temps en temps surprenant mais dans l'ensemble à peine divertissant, Pinocchio reste une œuvre fortement singulière et une nouvelle corde à l'arc de Matteo Garrone, qui passe presque littéralement du coq à l'âne entre ses films.