Pinocchio
7.1
Pinocchio

Long-métrage d'animation de Guillermo del Toro et Mark Gustafson (2022)

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Pinocchio : le héros de la désobéissance

J’attendais impatiemment ce Pinocchio : d’une part la version de Disney est l’une des réalisations du studio que j’aime le moins en raison du côté très moralisateur de l’histoire, d’autre part je suis fan de stop motion et Guillermo del Toro est mon réalisateur préféré. Je me demandais donc avec beaucoup de curiosité ce qu’il allait faire de cette histoire. Et mon attente n’a pas été déçue. Il va falloir m’excuser pour la longueur, inhabituelle de ma part, de cette critique…

Dans ce Pinocchio, pas question d’approche moralisatrice et simpliste, le contraire aurait été étonnant de la part d’un réalisateur qui a placé toute son œuvre cinématographique sous la bannière de la désobéissance, choisissant toujours de raconter ce qu’il veut raconter plutôt que de répondre aux attentes de l’industrie cinématographique ou aux attentes du public. Ce personnage de Pinocchio est marqué, comme del Toro, par l’esprit de désobéissance. Et bien sûr, elle n’est pas présentée comme un défaut mais bien plutôt comme un chemin pour devenir soi-même.

Pinocchio suscite la peur parce qu’il est indépendant et se comporte comme un chien fou indiscipliné. Dans une Italie en période fasciste, un tel comportement fait peur… C’est ainsi que le podestat inquiet lui demande : « qui te contrôle ? » A quoi Pinocchio répond avec impertinence et avec force : « qui te contrôle toi ? ». Plus tard, le podestat vient voir Gepetto :

« Votre fils n’est pas allé à l’école aujourd’hui. (…) visiblement le pantin a tout d’un dissident, un esprit indépendant, dirais-je. (…) Je compte bien voir le petit garçon en bois à l’école demain. »

Gepetto cherche à rassurer tout en tremblant : « c’est un pantin, un simple pantin ! » pour prouver qu’il est inoffensif. Mais justement, Pinocchio est le moins « pantin » de tous les personnages… Il est celui qui enfreint les lois, qui cherche à devenir ce qu’il veut devenir : « je n’aime pas qu’on me traite de pantin », ce à quoi Mangiafuoco lui rétorque : « mon garçon les pantins sont les meilleurs qui soit. L’élite ! Les pantins sont respectés dans tous les milieux. (…) les gens adorent les pantins » Triste vérité !

Cet aspect particulièrement développé par del Toro est présent à travers les dialogues mais aussi à travers la gestuelle. Alors que Pinocchio, personnage de bois bouge avec une grande souplesse et dégage beaucoup d’énergie, les autres personnages se restreignent dans leurs mouvements ou bien se comportent tel de véritables pantins en faisant avec raideur le salut fasciste. Pinocchio fait justement apparaître le Duce dans l’histoire et place dans sa bouche cette phrase savoureuse : « j’aime les marionnettes ! ».

Derrière le thème du pantin, il y a celui du contrôle. Chacun projette sur Pinocchio des attentes précises : Mangiafuoco voit en lui celui qui va lui rapporter de l’argent, le podestat voit en lui celui qui pourra devenir un véritable soldat car Pinocchio ne peut mourir. Idéal quand on a besoin de chair à canon ! Et enfin Gepetto cherche à retrouver en lui le fils qui est mort quelques années auparavant et à qui Pinocchio ne ressemble pas… Au milieu de toutes ces attentes, Pinocchio trace avec difficulté son propre chemin, cherchant à se faire aimer et accepter. Tandis qu’autour de lui on se le dispute : « Ce n’est pas votre pantin, c’est le mien ! »

Pinocchio regorge de belles trouvailles, comme la présence du grillon Jiminy dans le cœur de Pinocchio ; le nez de Pinocchio qui est traité d’une manière qui m’enchante tout à l’inverse de l’approche réductrice de Disney, mais par-dessus tout le parallèle qui est fait entre Pinocchio et le Christ. Alors que Gepetto a sculpté un grand Christ en croix pour l’église, Pinocchio le désigne du doigt et interroge :

- Papa, il y a une chose que je ne comprends pas.
- Quoi donc Pinocchio ?
- tout le monde l’aime.
- Qui ça ?
- Lui. Ils chantaient tous pour lui. Il est en bois lui aussi. Pourquoi les gens l’aiment, et pas moi ?
- Parfois les gens ont peur de ce qu’ils ne connaissent pas. Mais ils vont apprendre à te connaître, à t’apprécier.

Un rapprochement très osé et certainement bien pensé par del Toro. Car justement, le Christ était un « révolutionnaire », une personne non conformiste qui a appelé les autres à devenir eux-mêmes, qui s’est opposé aux chefs religieux et aux bien pensants de son époque. Mais on l’a neutralisé et il est devenu une statue de bois, de plâtre, d'argent ou d'or devant laquelle les gens chantent pieusement, délaissant la portée explosive de son message. On a fait de lui quelqu’un d’inoffensif. Pinocchio est ici une sorte de nouveau Christ, il va aider d’autres que lui-même à devenir libres : la mèche qui est le fils du podestat et Spazzatura pauvre personnage méprisé par Mangiafuoco. Il va également se trouver accroché sur une croix. Bien d’autres passages liés à la mort et au retour à la vie sont à rapprocher de la figure du Christ, non en tant qu’emblème religieux qui soumet les consciences mais bien en tant que force de vie et de rébellion face à toute forme d’oppression, de servitude et de mort.

Il y aurait une foule d’autres choses à dire sur ce film riche en thématiques. Je relève simplement pour terminer quelques points de contact avec d’autres œuvres de Guillermo del Toro.

- le thème du fascisme qu’on retrouve dans : L’échine du diable (2001) et Le labyrinthe de Pan (2006)

- le chemin pour passer du déterminisme à ce que l’on veut devenir qu’on retrouve particulièrement dans Hellboy (2004), Hellboy II ( 2008) et Blade II (2002)

- le thème de l’immortalité qu’on trouve très tôt dans sa filmographie avec Cronos (1993), mais aussi dans les œuvres que je viens de citer et finalement dans toute sa filmographie.

- et bien sûr les créatures fantastiques qui sont un marqueur de del Toro. Elles sont ici présentes à travers les lapins psychopompes; la Mort et sa sœur, la Vie, l'esprit qui a fait venir Pinocchio à l'existence ; le chien de mer. Chacune de ces créatures est soignée et de couleur bleutée pour marquer leur point commun, leur origine surnaturelle.

Avec Pinocchio, del Toro nous offre une œuvre forte portée par une magie visuelle impressionnante. Ma seule réserve porte sur les chansons que je ne trouve franchement pas excellentes. Mais elles ne sont pas trop présentes et peut-être toucheront elles d’autres personnes.

Avec cette nouvelle œuvre, on est assuré que del Toro a encore de beaux jours comme réalisateur devant lui, il n’est pas près de se renier et il continue à tracer son chemin pour mon plus grand plaisir !

La filmographie annotée de Guillermo del Toro : https://www.senscritique.com/liste/guillermo_del_toro_le_rebelle/3225354

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le 26 déc. 2022

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abscondita

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