La flamme et le pantin
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2022 ne pouvait être qu'une bonne année de cinéma, puisqu'elle s'est ouverte et se conclut aujourd'hui avec un film de Guillermo Del Toro.
En janvier, il s'agissait de Nightmare Alley, qui marquait à la fois un renouvellement du cinéma du mexicain et une certaine mise à distance de ses univers fantastiques devenus familiers. En décembre, sa nouvelle adaptation de Pinocchio semble effectuer le chemin inverse.
Car le film renvoie expressément en plus d'une occasion vers la guerre qui servait de toile de fond à L'Echine du Diable et au Labyrinthe de Pan, tout en la transposant dans l'Italie fasciste, dans une trilogie de thème d'une étonnante cohérence. Tandis que l'influence de Hellboy II : Les Légions d'Or Maudites se fait sentir dans le design de certains personnages.
Si le projet était fait pour terminer dans les mains de l'ami Guillermo, on pouvait néanmoins redouter l'influence écrasante de l'interprétation du petit pantin de bois retenue par Walt Disney, qui a réussi à ancrer de manière durable dans la mémoire du public son caractère naïf, son visage poupin ou encore sa morale un poil autoritaire.
Mais c'est mal connaître le généreux réalisateur mexicain. Ou encore ne pas lui faire totalement confiance malgré ses chef-d'oeuvres précédents. Car il se réapproprie le personnage de Collodi, le chouchoute et le plonge dans son univers et ses thématiques sans pour autant qu'une telle greffe soit considérée comme artificielle. Au point que Pinocchio semble avoir été envisagé par Guillermo comme le petit frère de l'Ofelia du Labyrinthe du Pan, elle qui, en pleine guerre d'Espagne, essayait d'être une bonne petite fille et apprenait à non dire au faune qui l'accompagnait.
Pinocchio s'inscrit dans la même évolution, plongé dans un conte de fée ambigu et touchant à la fois, investissant le passé douloureux de son sculpteur Gepetto ainsi que ses imperfections de père. Pinocchio, c'est un esprit de liberté, qui essaie de ne jamais renoncer à ce qu'il est, dans une Italie totalitaire qui veut mettre au pas ses enfants et faire que rien ne dépasse. Difficile, dès lors, pour une marionnette de se conformer à la norme, avec un tel long nez effilé, un corps aussi longiligne que déguingandé et un caractère rêveur et turbulent qui désarçonne le paternel, l'autorité religieuse ou politique.
Pinocchio s'inscrit enfin dans un univers merveilleux d'animation image par image ou chaque détail n'est jamais apparu aussi charnel et tangible que dans ce film là. Jamais caméra, dans le genre, ne se sera montrée aussi mobile, abolissant les limites du média. Performance qui cependant jamais n'atténue les mondes ou la magie de son réalisateur. Encore moins le cœur gros comme ça de l'ami Guillermo, toujours aussi émouvant, touchant à l'universalité des sentiments dans l'appréhension de l'aspect fugace de la vie, comme, coïncidence, dans le récent Le Chat Potté 2 : La Dernière Quête, ou encore dans une fin douce amère, apaisée et mélancolique.
Ainsi, d'un matériau a priori usé et immuable, Guillermo Del Toro tire une nouvelle fable aussi riche qu'émouvante. Arpentant les mêmes décors et adoptant les mêmes feelings que Freaks Out. A la recherche d'une humanité qui n'a jamais quitté le cœur du cinéaste, tout comme son amour des personnages à la marge de la normalité.
Soit un réalisateur qui a tenu à toujours rester lui-même, comme son Pinocchio qui refuse d'obéir aux injonctions du monde.
C'est pour cela qu'on l'aime, Guillermo.
Behind_the_Mask, le fil de la vie.
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le 12 déc. 2022
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