Ces trois premiers films de la saga sont d'une intelligence surprenante. Là où on s'attendrait à de la caricature plate et à du stéréotype fade, on a droit à des scénarios relativement complexes teintés d'une saveur mythologique mélangeant des aspects proches de Lovecraft et Hugo Pratt. Un subtil équilibre a été trouvé entre aspect cartoonesque, humour ponctuel, fond historique (très allusif) et éventail fantastique interrogeant le sens de l'existence humaine. Pour une fois, le tout sans ce moralisme binaire à l'eau de rose propre à Walt Disney, et son apologie de l'hyper individualisme self made man. Des personnages profonds et complexes, non manichéens, doutant de leurs propres trajectoires, avec en tête un anti-hero inattendu en la personne de Johnny Depp sous les traits fantasques de Jack Sparrow. Lâche, efféminé, névrosé et solitaire, on est loin de l'image marchandise du pirate masculiniste et viriliste à la méchanceté gratuite et absurde "parce qu'un pirate c'est méchant". Le jeu de Depp est en cela vraiment rafraîchissant, cassant les codes, avec une touche d'humour ponctuelle un peu cartoonesque qui fait rire sans que ce soit lourdingue. On peut également apprécier les détails qui respectent certaines réalités : les pirates ne sont pas des body builders sanguinaires comme dans la série Black Sails (de qualité mais ce casting de mannequins masculins est vraiment grotesque), mais des pauvres, presque des clodos, crades, aux dents noires, peaux et cheveux gras, pas lavés, à égalité avec les anciens esclaves Noirs et Asiatiques, pas toujours très malins mais loyaux et courageux (les deux en mode lorel et hardi sont vraiment agréables, surtout dans les saillies savantes de l'un, avec leurs doublons adversaires dans l'armée du roi). Tout en restant un film familial grand public et plutôt commercial, le seuil de tolérance consensuel est bien exploité pour nous montrer l'aspect collectif de la piraterie, ses contradictions internes mais aussi son horizon politique libertaire voire anarcho-communiste, notamment avec la confrérie internationaliste unie contre la flotte de la marine royale de l'Empire colonial britannique. La place des femmes, l'égalité totale sans discrimination ni raciste ni sexiste, le sens de la solidarité mêlé à un égoïsme hobbesien menant toujours à l'impasse, le tout avec une touche de Cthulhu, laisse là un cinéma d'une qualité étonnante.