Le meilleur nanar de tous les temps ? ;)
Il m’est venu une pensée troublante aujourd’hui. On peut, je crois, être marqué par les très mauvais films autant que par les très bons. Cette réflexion me vient quelques jours après avoir subi « Lucy » de Luc Besson et depuis je me demande régulièrement comment d’aussi mauvais films peuvent voir le jour. Plus ou moins inconsciemment, j’ai donc fait l’exercice mental de remonter dans ma mémoire et rechercher des scènes sans sens, des dialogues mal écrits, des raccords manqués, des images « empruntées » à d’autres films pour n’en utiliser que le sens premier, évident, lourd… et je sais que le parallèle contrira les fans de Besson, mais j’ai aboutit finalement à des images mentales de Plan 9 from Outter Space, du célèbre Ed Wood, réalisateur affublé de titre de plus mauvais de tous les temps ? Si Besson continue à ce rythme, plus pour très longtemps, car Wood n’avait pas la même assise financière ou le même carnet d’adresse que notre ami Luc.
Plan 9 from outter space est-il réellement le film le plus mauvais de tous les temps ? Et si tel est le cas, comment puis-je lui attribuer ce 10 ostentatoire qui ne manquera pas de provoquer l’ire des puristes ? (Techniquement le film vaut certainement plus près de 3 que de 10). Et comment puis-je dans le même temps noter « Lucy » 1 alors qu’il sera plus facilement regardé ?
Essayons de comprendre tout ceci.
Pour monter son film, Ed Wood a dû trouver des investisseurs, leur mentir sur le contenu du film, faire toutes sortes de concessions (faire baptiser toute l’équipe de tournage). Il ne s’est pas arrêté en si bon chemin puisqu’il a également à priori dû voler (du matériel), flatter (des « acteurs » récalcitrants) et « emprunter » des images à d’autres films pour boucler le sien.
A la différence d’un Besson qui nous mène en bateau avec un pitch parfois alléchant (je le reconnais volontiers), Wood, lui, ne trompe personne. Jugez plutôt : des extra-terrestres qui veulent faire cesser les recherches nucléaires sur la Terre en employant un rayon pour réveiller les morts, on a déjà vu meilleure entame pour asseoir le sérieux d’un film.
Dans Plan 9, ces envahisseurs sont donc, comme il se doit, couverts de papier aluminium, avec des trucs sur la tête pour montrer qu’ils maitrisent une technologie furieusement en avance sur la notre, et se tiennent, dans un statique déconcertant, devant des pupitres rudimentaires et des rideaux pour tout décor de vaisseau spatial.
Les zombies de leur côté, claudiquants et vacillants, poussiéreux à souhait, ont pour porte-étendard Maila Nurmi, aka Vampira, future inspiration d’Elvira, maitresse des ténèbres. Elle est accompagnée par un ancien catcheur, Tor Johnson, au jeu d’une éloquence rare (hum, hum) et à la cicatrice baladeuse (il se dit qu’elle gênait beaucoup le catcheur et Ed Wood ne s’embarrassait pas de ces détails). A noter le rafraichissant décor de cimetière en carton (qui vacille ou même qui tombe lorsque les personnages passent trop près) dans lequel évoluent ces personnages.
Au milieu de ces non-humains, les fiers représentants de notre race, principalement militaires ou policiers comme il se doit, avec mon favori parmi les nombreux héros de guerre que le cinéma a pu produire, le (je cite) « général en charge des soucoupes volantes » (j’adore le titre).
Enfin, je ne sais pas où placer Bela Lugosi, mort avant même le début du tournage mais qui fut intégré au film par Ed Wood, aveuglé par son envie de faire jouer une nouvelle fois l’interprète de Dracula.
Quant à l’intrigue… Bon, sincèrement elle n’a rien à envier au pitch malheureusement.
Enfin, la réalisation elle-même semble calamiteuse, les raccords lumière, le jeu des acteurs, les « effets spéciaux », tout semble fait par-dessus la jambe, en dépit du bon sens (les scènes qui alternent jour et nuit sont tout de même à noter dans ce maelström du mauvais artisan du cinéma, je trouve). Alors que reste-t-il ?
Objectivement, il semblerait qu’il n’y ait pas grand-chose à tirer de positif du film. Et pourtant… Pourtant c’est là que la magie opère. En mathématique on sait depuis longtemps que « moins par moins ça fait plus » et cela fonctionne pour Plan 9 : le ridicule devient sublime, l’erreur devient l’élément le plus recherché de chaque scène (et on a le choix), l’imperfection devient parfaite. Tant et si bien que l’on peut se retrouver à regarder entièrement, et sans avoir l’impression d’être assis dans une salle d’attente d’hôpital en vue de notre prochaine ablation de la conscience cinématographique, une œuvre étrange, difforme, presque monstrueuse, mais habitée d’une âme, d’une envie, de passion, indéniablement, ce dont ne peuvent se targuer bien des production avec un budget conséquent ou des personnes plus capables que Ed Wood techniquement aux commandes.
Une œuvre à voir au moins une fois dans sa vie, ne serait-ce que pour avoir les outils pour mesurer les autres films à l’aune de cette « plus mauvaise réalisation de l’histoire ». Dans l’intention, peut être un titre finalement immérité…