Un environnement dirigé par le male gaze abordé à travers un female gaze (ouais, j'adore me la péter bêtement avec des termes anglophones au lieu de chercher des substituts français !). La réalisatrice Ninja Thyberg aborde d'une manière frontale un univers que l'on dissimule dans la couche d'intimité de notre quotidien la plus profonde, que l'on ne veut pas assumer, mais pourtant la pornographie règne en maîtresse incontestée sur Internet, dans notre société, et très rares sont les personnes pouvant dire avec franchise qu'elles n'ont pas été en contact avec, bien à l'abri, derrière son écran.


Mais il y a des gens qui sont bien moins à l'abri (euphémisme !), et ce sont évidemment ceux que l'on voit faire des galipettes incroyables sur l'écran de notre ordinateur. Thyberg montre sans la moindre complaisance, mais sans pour autant charger exagérément pour faire dans le sensationnel ou défoncer gratuitement (comprenant que la réalité, dans sa complexité et sa nuance, se suffit amplement à elle-même !), l'atmosphère qui règne dans le milieu. Ce dernier où tu peux faire évidemment ce que tu veux, quand tu le veux, arrêter quand tu veux, tout en mettant la pression pour faire comprendre que pour faire son trou efficacement et durablement mieux vaut être conciliante, s'écraser et être écrasée, ne pas faire de vagues et aller vers les pratiques les plus extrêmes. Ce qui requiert non seulement des compétences physiques, mais également (et surtout !) un mental en béton armé pour y survivre.


Je dis "conciliantE" et "écraséE", car si les acteurs mâles ne sont pas épargnés (l'ensemble fait comprendre qu'il n'est pas forcément facile pour eux d'être performants au moment précis où il le faut ; il y a même une séquence un peu stabilotée (oups, je suis entrée sans frapper ; il y a peut-être plus subtil comme moyen scénaristique d'introduire cela !) montrant qu'une petite injection peut être nécessaire !), celles qui sont les plus vulnérables sont bien sûr les actrices, devant faire face à une industrie implacable menée avec une logique capitaliste, où la performance physique et, en conséquence, celle financière priment sur l'humain.


Ce qui exige de trahir et de se trahir soi-même, la victime pouvant très vite se faire bourreau ou complice du bourreau, comme le parcours de la protagoniste le met en évidence. Le tout évidemment dirigé d'une main de fer par le patriarcat (d'ailleurs, un des tournages à se passer entièrement bien, faisant dans le BDSM, lors duquel la protagoniste éprouve du plaisir à exercer son métier, est dirigé par une femme, sachant sûrement être plus empathique avec ses consœurs et les mettre positivement dans le bon état d'esprit !). Il suffit de voir Mark Spiegler (joué par Mark Spiegler, ben ouais !), grand manitou du porno, agent très puissant, pouvant faire accéder à une gloire et une fortune exceptionnelles, qui feint lors d'un casting de se laisser convaincre par deux de ses comédiennes d'accorder une chance au personnage principal tout en laissant bien entendre après une période d'essai que c'est lui et lui seul qui décidera de la suite à donner.


Je ne chercherai nullement à contester la véracité du film. On sent que la cinéaste s'est renseignée et immergée bien à fond avant de plonger dans le tournage. Elle sait parfaitement de quoi elle parle. Et l'utilisation quasi-exclusive de professionnel(le)s du milieu dans la distribution renforce cette impression.


Dans la peau de la jeune ingénue qui doit apprendre très vite si elle veut réussir, Sofia Kappel est bluffante. Déjà, il est difficile à croire qu'elle est une débutante hors du X parce que son interprétation est magistrale, mais à un point qu'on croirait avoir affaire à une véritable actrice pornographique jouant son propre rôle, partageant son quotidien. C'est le meilleur compliment qu'on puisse lui faire.


Pour finir, la pornographie est un monde dont les usages évoluent très rapidement. Mais une chose est certaine, c'est que Pleasure restera au moins comme un témoignage authentique, fort et intéressant de comment c'était dans les années 2010-début 2020.

Plume231
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le 22 oct. 2021

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