Un film démoniaque, au son des notes persistantes de Nino Rota. Restauré en 4K cet été, ce Plein soleil est encore plus cruel. Pour ma part, j’aurais préféré une fin amorale. Que Delon-Ripley s’en sorte. J’aurais aimé détester son personnage sans foi ni loi. Qu’il soit auréolé d’un panache indécent jusqu’à la dernière seconde. Parce que sa beauté magnétique, son regard acier sous ses cils crépusculaires, son sourire irrésistible et sa silhouette élégante « le valent bien » (hum-hum). J’aurais préféré qu’il se donne les moyens de son obscure ambition.


Mais voilà : Delon-Ripley a beau être talentueux, il est aussi paresseux. Un flegme que n’a rien à lui envier Paul Gégauff. Gégauff, Greenleaf, tiens-tiens… Paul Gégauff : scénariste de Plein Soleil. Arnaud Le Guern a consacré un livre au hussard libertaire et libertin : « Une âme damnée » (2012), dans lequel il revient sur sa collaboration avec René Clément, le réalisateur : « Plein soleil ne l’a ennuyé que pour une seule raison : Clément est un perfectionniste qui oblige à travailler.

-Paul, vous écrivez que le personnage boit un verre de vin. C’est bien ça ?

-Oui, c’est écrit. Vous avez bien lu…

-Est-ce du vin blanc ou du vin rouge ?

- C’est ce que vous voulez.

-Il faut être plus précis. Je ne peux pas tourner autrement. Vous y réfléchissez et nous en reparlons demain. »


Gégauff, c’est aussi l’incarnation d'un cynisme dandy : « Les acteurs, je trouve ça con, je les méprise. C’est vrai : vous leur dites de rire, ils rient ; vous leur dites de pleurer, ils pleurent ; vous leur dites de marcher à quatre pattes, ils le font. Moi, je trouve ça grotesque. » Pourtant ce sont les acteurs : Ronet et Delon qui font davantage aimer Plein soleil que le scénario de Gégauff. Avec une apparition furtive mais prégnante de Romy Schneider. Comme si Plein soleil n’était qu’une ébauche de La Piscine.


Le Guern rappelle aussi que Gégauff, dans son époque : « tient généralement le rôle du mauvais génie de « Jeunes-Turcs », qui n’étaient ni jeunes ni turcs. La « Nouvelle vague » selon Gégauff ? Du blé et des filles : le cinéma lui offre le pognon dont il a besoin pour épater femmes fatales et ravissantes idiotes, les coucher dans son lit et remettre ça. » Coco, la mère de sa fille, parmi ces femmes-là, humiliées et dominées, a finalement choisi de tuer Gégauff un soir de Noël, préfigurant une « Nouvelle vague » qui devait renverser les rôles : #Meetoo.

Isabelle-K
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