Ce film est plutôt méconnu en dépit de son casting important et de la réputation de son réalisateur, d'ailleurs il n'est pas toujours cité parmi les meilleurs films de Don Siegel ; il a l'allure d'une série B mais c'est en vérité un polar beaucoup plus subtil et plus ambitieux qu'il n'y paraît et qui s'inscrit dans une vague très représentative du polar en mutation à la fin des années 60, annonçant déjà les polars des 70's beaucoup plus alambiqués, tortueux et surtout plus introspectifs, c'est le cas ici.
On a en effet d'un côté la description d'une société brutale dans laquelle flics et criminels se livrent une lutte sans merci, de l'autre le portrait brossé presque au couteau d'une société dissolue, aussi bien du côté des truands (tueurs et obsédés sexuels) que du côté des inspecteurs corrompus par nécessité (notamment celui incarné par James Whitmore). Les conflits entre Madigan, le héros pas tout blanc mais pas entièrement ripou incarné par Widmark, et son chef Russell, exemple de droiture incarné par Fonda, sont également significatifs de ce nouveau courant entrevu déjà dans Bullitt tourné la même année. On est vraiment pas loin de L'Inspecteur Harry qui comme par hasard sera réalisé par Siegel en 1971 et qui officialisera ces néo-polars. La violence qui accompagne certaines scènes est liée elle aussi à cette mouvance.
Le constat est donc amer en voyant ce film : on ne peut plus faire honnêtement le métier de flic, ce pessimisme (brutalités, répressions, laxisme, compromissions) est relayé par d'autres films de la même époque comme le Détective ou la Poursuite impitoyable. Il s'amplifiera avec Un silencieux au bout du canon, les Flics ne dorment pas la nuit, French Connection, Police puissance 7 ou Liquidez l'inspecteur Mitchell...
Siegel en réalisateur chevronné réussit donc son coup, il entremêle les affres du métier de son héros avec les soucis d'une vie affective qui bat de l'aile, et le film bénéficie d'une interprétation de qualité, avec en tête un Richard Widmark remarquable qui retrouvait presque 10 ans plus tard Henry Fonda après le western L'Homme aux colts d'or ; tous deux sont bien épaulés par Inger Stevens, belle actrice trop tôt disparue, Harry Guardino, James Whitmore, Susan Clark, Don Stroud, Sheree North, Warren Stevens, Steve Inhat et Michael Dunn (le nain diabolique Loveless dans la série les Mystères de l'Ouest).
Il faut croire que ce film a eu un succès relatif suffisant pour qu'il fasse l'objet d'une série TV en 1972 sous le titre de Madigan ; ce fut une production Universal très courte puisqu'elle ne compte que 6 épisodes de 70 mn car Richard Widmark qui reprenait son rôle en abordant pour la première fois la télévision, ne voulut pas se laisser enfermer dans un personnage. Mais à la différence du film dont elle s'inspirait en reprenant ce personnage de flic, celui-ci dut être lissé pour la télé, et on envoya Madigan dans 3 enquêtes à Londres, à Naples et à Lisbonne. Cette série peu diffusée en France reste très méconnue, même si elle est sortie en DVD.
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