"Police sur la ville" qui est le titre français (avec presqu'une faute de grammaire, comme si la police survolait la ville !) s'appelle tout bêtement dans la VO "Madigan" du nom du flic dont il est question. Mais c'était sûrement trop compliqué pour les géniaux distributeurs français.
"Madigan" donc, c'est un flic de base, un inspecteur, qui se fait avoir par un gangster qui parvient à s'échapper au cours d'une interpellation. Non seulement Madigan n'arrive pas à l'arrêter mais en plus il se fait piquer son révolver. La totale. Aux USA, perdre son flingue, c'est l'humiliation qui mérite presque la fessée. Il s'attend à la révocation puis non, il lui est donné 72 heures pour réussir à choper le bandit. D'où une tension certaine dans le film.
"Madigan" marque une évolution dans le traitement du film policier ou du film noir des années 50. On est en 1968 et la société américaine rencontre, au moins au niveau de sa jeunesse, des doutes, avec entre autres, la défaite cuisante au Vietnam qui se profile à l'horizon. Don Siegel introduit dans son film des aspects sociétaux et mélodramatiques. Les choses ne sont plus si lisses avec le flic droit dans ses bottes. Dans "Madigan", la traque du bandit n'est qu'un prétexte pour nous montrer toute une série de personnages, du flic de base au préfet de police en passant par le commissaire. Pour être clair, Siegel nous montre le fonctionnement du flic Madigan au boulot et à la maison ainsi que le fonctionnement de sa hiérarchie. C'est ainsi qu'on découvre aussi que le commissaire (le chef de Madigan) a fermé les yeux sur une magouille pour couvrir les frasques de son fils, que le préfet n'est pas non plus complètement irréprochable …
On découvre ainsi que tous ces flics ont leur zone d'ombre, leur zone d'irrégularités et qu'ils sont amenés à composer soit avec leur famille, soit avec leurs indics pour faire avancer à la fois leur vie privée et professionnelle.
Ce film n'a pas pris une ride en une cinquantaine d'années qui nous séparent de cette époque. En effet, les problématiques évoquées peuvent parfaitement se transposer aujourd'hui dans le cinéma policier actuel comme on pouvait les trouver régulièrement à chaque époque. Je pense, entre autres, car il y a beaucoup d'exemples, au film "Heat" de Michael Mann en 1995 qui évoquait aussi des crises existentielles dans les couples où le flic était écartelé entre ses devoirs.
Richard Widmark incarne le flic de base, Madigan, honnête et dur. Intéressant de le voir dans sa rencontre impromptue avec le préfet où il adopte pratiquement le comportement de l'employé subalterne qui se sent obligé de justifier sa présence face au grand chef.
Sur sa relation avec son épouse interprétée par Inger Stevens, je retiendrai surtout la bouleversante scène où, par dépit, elle se laisse glisser sur la pente de l'adultère et se reprend in extremis.
Pour suivre l'ordre hiérarchique, c'est l'excellent James Whitmore qui joue le rôle du commissaire qui se résigne à accepter le déshonneur de la révocation une fois que le préfet de police l'a eu pris la main dans le sac alors qu'il ne faisait que couvrir les bêtises de son fils.
Pour finir, on trouve un Henri Fonda qui joue le rôle du préfet, l'homme qui a gravi tous les échelons de la police grâce à sa grande rigueur et son incorruptibilité. Et pourtant, on le surprend à entretenir une liaison avec une femme mariée. On ne s'étonnera pas que Henri Fonda, dans un rôle finalement assez humaniste qu'il affectionne, passera l'éponge sur la faute du commissaire. En première approche, on pourrait dire que Siegel considère que "l'erreur est humaine". En fait, après réflexion, je penserais plutôt que Siegel veut montrer que les comportements des gens, ici des flics, évoluent juste en fonction de l'évolution de la société devenue plus permissive ou moins manichéenne.
Siegel me parait avoir réussi avec Madigan un grand film, riche et passionnant, sur l'évolution du genre policier qui reflète l'évolution de la société. Une série a été tirée de ce film avec le même Richard Widmark.
Quelques années plus tard, Don Siegel reprendra la même thématique avec un film beaucoup plus cynique dans "l'inspecteur Harry". Honnêtement, je préfère en rester à "Madigan"