Un pamphlet burné
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Rendez à cette épopée son titre véritable : Pompoko, la grande guerre des tanukis de l’ère Heisei. Vous n’êtes pas conviés à une douce comédie d’animaux parlants et pelucheux, mais à une tragédie. Au naturel, le tanuki est un chien viverrin ressemblant à notre raton-laveur. Dans la mythologie japonaise, il est l’un des yōkai (esprits) de la forêt, un lutin réputé pouvoir changer de forme à volonté en jouant sur l’élasticité de ses testicules.
Commençons par émettre deux légères réserves. Pompoko souffre de longueurs et le parti pris de lui donner la forme d’un documentaire présenté par une voix off n’arrange pas les choses. C’est fait.
À l’inverse de son compère Hayao Miyazaki, Isao Takahata n’est pas un dessinateur, mais un scénariste et réalisateur qui choisit un « caracter design », ici celui de Shinji Ôtsuka, pour mettre en image son projet. Le résultat est beau et les tanukis attachants.
Dans une première partie, Takahata présente ses héros. Jadis, ils ont décidé de fuir les êtres humains. Depuis, ils vivent de chasse, de cueillette et de larcins opérés en ville. La plupart ont oublié leur fantastique talent. Ils peuvent prendre trois formes :
- Une version animale, celle qu’ils réservent aux humains.
- Un aspect anthropomorphe. Les tanukis vivent en communauté. Ils aiment faire la fête, manger, boire et se lancer dans des controverses. Ils sont naturellement feignants et gentiment belliqueux.
- Un aspect surprenant, car juste esquissé ; un hommage au crayonné de Shigeru Sugiura (1908-2000) ; quand ils sont exténués, ivres ou affolés.
La princesse Mononoké était confrontée au déclin des kamis, les divinités tutélaires de toutes les choses. Miyazaki prenait la liberté de leur donner forme animale : loups, sangliers ou orang-outang géants et parlant. La mythologie de Takahata est plus originale. Par un effort intense, les tanukis changent de forme. Ils revêtent, notamment, l’aspect de divinités shintoïstes ou bouddhistes. Les plus habiles des anciens sont considérés comme des maîtres, ils vivent dans des temples et sont vénérés par les humains attachés aux anciens rites. Les tanukis semblent abuser de notre crédulité.
Tokyo attire toujours plus de Japonais et doit grandir. Sa croissance opère au détriment de la haute vallée de la Tama, territoire ancestral des tanukis. Confrontés au bétonnage de leurs terres, ils se résolvent à se battre avec leurs armes, leur pouvoir de transformiste. Comme jadis, ils effrayeront les envahisseurs en recourant aux vieilles terreurs, fantômes et esprits guerriers. S’ils affolent quelques ouvriers, ces derniers ont tôt fait d’être remplacés, l’argent a raison des peurs. Les autres croient assister à un spectacle, ils applaudissent et en redemandent. Les humains ne craignent plus le fantastique. Leur crainte s'est muée en divertissement, pis, en indifférence. Les dieux ne sont plus. Les hommes se sont accaparés le pouvoir de destruction et la domination sur la nature. Quand les plus âgés, imprégnés de savoir traditionnel, envisagent que des tanukis seraient à l’œuvre, la police intervient et pose des pièges mortels.
La grande bataille est perdue. Les guerriers sont tués au combat. Les transformistes se feront humains. Les rescapés survivront dans des bois épargnés par l’urbanisation. Le combat des tanukis fait écho à celui, perdu, par tant de peuples premiers, réduits à l’assimilation ou à la survie dans de sinistres, bien que protégées, réserves. Ma fille est déçue : c’est trop triste. C’est vrai.
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Créée
le 31 janv. 2019
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