Porco Rosso
7.7
Porco Rosso

Long-métrage d'animation de Hayao Miyazaki (1992)

"Je préfère encore être cochon que fasciste"

Avec son sixième film Hayao Miyazaki nous emmène dans l'Adriatique de l'entre-deux guerres mondiales, essentiellement en Italie et aussi sur les côtes de ce qui est aujourd'hui la Croatie. On suit les aventures d'un pilote d'hydravion affublé d'une tête de cochon à la suite d'une malédiction. Ancien militaire il s'est reconverti en chasseur de primes et vit reclus sur une petite île de la mer Adriatique.

Le contexte historico-politique est ici bien marqué et tangible. En effet à cette période l'Italie traverse une profonde crise économique et sociale qui amorce un engloutissement de la nation par le fascisme. Le terme "porco rosso" est d'ailleurs une insulte qui désignait les opposants aux régimes de Mussolini, principalement des communistes. Miyazaki ayant été marxiste dans sa jeunesse il est possible d'interpréter le personnage principal comme étant une émanation de l'auteur sur différentes strates. Au Japon le porc est un animal apprécié mais non respecté car il cumule tous les différents défauts de l'être humain, notamment son égoïsme. Le personnage du film est donc un ancien jeune homme plein d'espoirs et d'idéaux transformé en un porc désabusé et marginal comme a pu l'être l'idéaliste Miyazaki obligé de rentrer dans le moule et d'adopter le système.

Le réalisateur traite également de la condition féminine et de la place des femmes. Celles-ci sont obligées de travailler dans les ateliers puisque les hommes ont quitté leurs terres afin de se louer dans des zones plus porteuses d'emploi. Elles se débrouillent admirablement bien et la jeune Fio, petite fille du tenancier de l'atelier est un élément central du film. Joyeuse, douée, déterminée, travailleuse et ne manquant pas de courage malgré son jeune âge pour démonter les bassesses sexistes auxquelles elle doit faire face, elle est l'étincelle qui va dynamiter le nihilisme du porc et lui permettre de croire à nouveau en des lendemains meilleurs, allant même jusqu'à briser son maléfice.

Le personnage de l'antagoniste américain Curtis est également intéressant et fonctionne parfaitement car il est à l'opposé du héros sans être antipathique, en effet il n'oubliera pas son expérience en Europe et en gardera un bon souvenir. Quelque peu orgueilleux et vaniteux il est à la recherche de gloire et d'amour et souhaite abandonner sa carrière de pilote afin de devenir acteur à Hollywood puis président, une allusion à peine voilée à Ronald Reagan. Il y a par ailleurs des références au cinéma américain, la plus évidente étant celle à Casablanca de Michael Curtiz. L'apparence et le style vestimentaire du porc qui renvoie à la tenue du personnage d'Humphrey Bogart, la cigarette aux lèvres et le chapeau vissé sur la tête. L'acteur à l'instar de notre animal porcin n'était lui non plus pas dans les canons de beauté de l'époque. Le triangle amoureux, l'ambiance mélancolique ainsi que l'hôtel Adriano où se réunissent pirates, chasseurs de primes et une ribambelle d'individus issus de toutes les castes de la société. Le lieu fait bien sûr penser au Rick's Café du film de Curtiz. Le nom Adriano est par ailleurs un hommage rendu à Adriano Visconti, un célèbre pilote de chasse italien qui officia lors de la Seconde Guerre mondiale.

L'aviation, le thème majeur du métrage bien sûr car le cinéaste japonais est passionné par cet univers. Il a voulu rendre hommage à tous ces héros d'une autre époque. Ces pilotes d'hydravions dont le terrain de jeu est entre ciel et mer, ils sont " plus intrépides que les marins et plus fiers que les pilotes d'avions de chasse". La quasi-totalité des avions a d'ailleurs été imaginée par Miyazaki qui les a dessinés avec un incroyable souci du détail et les raids aériens sont bluffants. L'animation du cinéaste sublime autant les paysages que les différents bolides. Les plans, la conception, les différents mécanismes et outils utilisés, le fonctionnement des avions, tout cela paraît tellement crédible. Il y a des références explicites, au trophée Schneider qui était une authentique course aéronautique ainsi que le moteur Folgore sur lequel est écrit "Ghibli", le nom du célèbre motoriste et accessoirement des studios !

Porco Rosso est un film profondément nostalgique et romantique notamment vis-à-vis de la relation entre le héros et Gina. Pleine d'instants de non-dits et de subtilité qui jaillissent successivement, elle enrobe deux êtres que la vie et la guerre ont traumatisé. Le climax émotionnel est certainement atteint lors de la séquence du flash-back du cimetière aérien. C'est un passage juste sublime tout comme l'est cette chanson Le temps des cerises chantée en français par le personnage de Gina qui est doublée par la japonaise Tokiko Kato. C'est une chanson écrite par Jean Baptiste Clément en 1866 associée à la Commune de Paris en 1871. Pour Miyazaki elle est ici chantée car le socialisme a échoué et cela reflète son amertume liée. D'idéal marxiste il n'a jamais sauté le pas du fait de l'application de cette pensée par les régimes chinois et soviétiques. La mélodie ainsi insérée atteint elle aussi une puissance émotionnelle folle en convoquant ce sentiment de nostalgie.

Captivant tout du long et non dénué de petites touches d'humour savamment distillé, Porco Rosso bénéficie d'une multitude de niveaux de lecture et pourra satisfaire petits et grands spectateurs.

Zoumion
8
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le 20 mai 2024

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