Sur un îlot paradisiaque, il se cache du monde. Dans cet antre où son cœur est bloqué, il vit au temps des cerises. Son être jauge la distance, quelque part entre un soi insondable et l’autre en soi. Il écoute le flux des nouvelles pour oublier ses douleurs. Sa foi dans l’être humain a disparu sur les cendres de l’ancien-monde. Sur cet autel brûle à présent la vanité, le déshonneur et le fascisme.
Il est pourtant porteur d’espoir, aigle rouge parcourant l’Adriatique, vestige d’un temps révolu. Il est un roi au milieu d’un océan d’incapables pleutres. Au soleil couchant il rejoint sa belle, celle qu’il aime, celle qu’il ne peut aimer. Elle est l’incarnation de tout son être, de ses démons, de son courage, de ce pour quoi il respire chaque bouffée d’air, mais aussi de chaque coup qu’il inflige à son âme. La nuit accueille leurs échanges furtifs. Une photo derrière le bar porte les affres de sa dualité. La clarté du jour, symbole d’un amour possible et avoué, n’illuminera jamais leurs visages. C’est le fardeau des héros qui voguent dans l’antre-monde. Ils n’appartiennent ni à l’un ni à l’autre, s’interdisent les plaisirs, ils sont les compagnons idéaux des concupiscences muettes.
Lorsque l’homo-américanus vient bousculer les nuages de son arrogance, Porco s’enflamme, chute et se retire sur les canaux de Milan malgré les mandats d’arrêt qui le poursuivent. « L’avantage d’être un cochon c’est que l’on n’a ni loi ni patrie » souligne-t-il. C’est là, alors que l’humanité se masque de décadence qu’il rencontre Fio. Elle est jeune, naïve, insouciante et intelligente. Il partage la passion de l’aéronautique et derrière son voile de bougonnerie il s’éprend de son « cul de souris ». Elle le rappelle à la vie, il défendra son honneur pour elle.
Le temps d’un ballet aérien sur le chemin du retour, Porco souffle à Gina un souvenir. Ils sont deux enfants, sur le fil de l’eau ils volent ensemble. Lors d’une bourrasque éphémère, il partage un moment d’intimité. Nostalgie d’une époque où seuls comptaient les sentiments, où les monstres de la guerre ne les avaient pas encore happés. L’idiot ne se posera pas, pilote d’hydravion fier et perdu, le soleil ne berce jamais son visage auprès de Gina depuis son retour du front.
Soudain, l’homo-américanus se montre de nouveau pour écraser de son aérienne suprématie les innocences Adriatique. C’est au déchirement de sa paroi que le paradis implose et accueille les vicissitudes vénales. Porco part en croisade défendre sa figure d’espoir.
Le cycle est perpétuel et c’est dans l’antre-monde, celui qui précède le combat et commence le conte que le visage de notre cochon se dévoile. Dans cet entre-deux, en présence d’un soleil humanisé, ses démons l’abandonnent quelques instants pour se consumer dans l’imaginaire adulescent. L’occasion de nous faire vivre un moment hors du temps, et nous offrir l’imminence poétique d’un instant mortifère.
Vient alors le combat final, dans le ciel azur de l’Adriatique. Pour un court moment, l’océan offre le refuge aux vieux rêveurs, héros comme antihéros, ils sont tous réunis pour un hommage aux pilotes. C’est la dernière apparition de notre cochon volant. Il emporte avec lui ses doutes, ses démons et son hydravion. Il n’a plus lieu d’être, vieux loup d’un âge révolu, il a probablement rejoint les fantômes du passé pour faire acte de paix et apaiser ses tourments. Il laisse surplace l’amour et l’espérance.
Peut-être qu’un jour son hydravion voguera le long des courants chauds italiens, peut-être qu’un jour son hydravion goûtera les mile éclats solaires du ponton de l’hôtel Adriano, peut-être que le temps des cerises reviendra effleuré Gina et Porco, peut-être…
« Le temps des cerises »