Le parti pris de Céline Sciamma dans ses deux premiers films, Naissance des Pieuvres et Tomboy était similaire : des personnages très froids évoluent dans un milieu glaçant et cet isolement naissent les sentiments. Pourtant quelque chose ne prend pas dans le Portrait, et le film semble noyé sous son ambition. La cinéaste, aussi scénariste, opte pour des dialogues entre deux : à la fois très propres à leur époque (les deux femmes ne se tutoieront jamais, plusieurs tournures désuètes sont utilisées) et pourtant tôt à fait modernisés dans leur récit : elles ne font pas les liaisons, les personnages n’articulent pas. L’absence de préciosité contraste avec ce vouvoiement permanent et ces dialogues qui se veulent, par moment, en cohérence avec l’époque. Tout de suite nous sommes mis à distance.
La froideur du ton emprunté par Marianne et Héloïse ne permet pas l’apparition d’un désir, comme c’était le cas dans Naissance des pieuvres. L’admiration qui naît entre les deux femmes est autant prévisible qu’incompréhensible. Car rien ne justifie cet enivrement pour l’autre : on aurait pu imaginer l’artiste s’éprenant de son modèle, sentant monter une fascination qui naîtrait de l’observation secrète des formes du visage ou de la main, mais le sentiment naît communément chez les deux femmes, le regard qu’elles posent l’une sur l’autre est le même. Il n’y a pas de différence de représentation des deux femmes : seuls les regards en coin de Marianne au début du film nous donne à voir quelques gros plans (quel manque d’imagination) sur plusieurs parties du corps d’Heloïse.
Sciamma manque de subtilité dans ce portrait : le capuchon qui choit des cheveux d’Heloise pour nous révéler un premier aperçu de son visage, le moment de relâche et de rapprochement que représente la scène de jeu de carte, le motif du sac et du ressac, mer d’abord comme vecteur de mort puis de renaissance, les femmes chantant à capella, artifice évident...
La chaleur incandescente que nous laissait suggérait le titre, la passion brûlante de sentiments, n’est pas au rendez-vous.
Ici, tout est terne et morne, jusqu’à l’image opaque du film.