Par un regard, on enferme l'autre dans un rôle. Voilà sans doute la grande revendication de ce début de XXIème siècle, et que l'on retrouve a fortiori dans le Portrait de la Jeune Fille en Feu. Rien de plus normal pour une cinéaste que de considérer le regard comme un grand pouvoir impliquant de grandes responsabilités, laissant ainsi tout de même un espoir. Plutôt que de dénoncer, Sciamma se dénude et annonce : Prenez le temps de me regarder... Ou comment, avec une introduction montrant une toile blanche devant être recouverte par une image qui dépendrait autant du modèle et de l'auteur que du spectateur, donner un cahier des charges (plutôt qu'à charges) on ne peut plus clair : il ne s'agit aucunement d'arrêter de regarder, mais bien de regarder autrement. Ça tombe bien, le cinéma est aussi un regard qui enferme dans un rôle, mais différemment.
Où se situerait donc ce regard, qui permettrait équilibre entre perception et réalité ? Une question aussi vieille que la peinture elle-même sans doute, et d'autant plus complexe que Sciamma revendique ce regard comme un partage de l'artiste avec son auditoire, soit un dialogue constant entre le point de vue du premier et la perception du second. Encore une fois, une seule revendication : Prenez le temps de me regarder...
Ainsi d'un film qui laisse tout l'espace nécessaire à son spectateur pour respirer à plein poumon l'air vivifiant de la Bretagne. Et vivre, il en est effectivement question dans ce portrait : une tâche aussi primordiale que difficile, qui demande autant de savoir s'isoler pour s'ouvrir à l'autre, que s'ouvrir au monde pour accepter d'abandonner nos espoirs. Vivre, c'est regarder de face la violence du ressac des vagues qui nous gardent prisonnières. Mais toujours en cherchant la distance appropriée afin de ne pas se noyer.
Ça, c'est pour les gens qui s'aiment. Pour l'Homme (le masculin, pas l'universel), on cherchera à s'échapper de son influence en plongeant à corps perdu dans la tâche artistique, miroir aussi narcissique qu'illusoire car bridé par des règles et conventions, rendant sa pratique seulement tolérée pour celle qui veut s'en servir dans une quête d'indépendance. Ou croire naïvement que l'on peut devenir seule et que cela nous rendra libres.
Se retourner vers le passé, c'est écrire l'éternité avec une image (voire 25 images toutes les secondes), mais mourir un peu aussi. Difficile de vivre pleinement sans considérer la mort et son orchestre tempétueux qui emporte tout. Avec un peu de chance, le passé nous a lancé son dernier appel. À nous de savoir le regarder avec la bonne distance afin qu'il ne nous oublie jamais, et ne nous laisse pas mourir complètement. Pour que nous apprenions enfin à regretter.