Finalement, quelle meilleure allégorie que le feu peut décrire un embrasement d'avis positifs à propos d'un film ? Mais si, voyons: le feu, cette chose vivante et fascinante devant laquelle on peut passer des heures lorsqu'il est réellement devant soi, et qui présente beaucoup moins d'intérêt une fois filmé ou photographié. On connait la même excitation à propos d'un concert: intense lorsqu'on est dans la salle, sympathique quand on regarde la même performance sur DVD. Et tant d'autres spectacles vivants.
Le phénomène existe au moment des premières projections d'une œuvre cinématographique, à l'occasion d'avant-premières ou -plus électrisant encore- lors d'un festival.
(Attention ! Je ne prétends pas qu'on puisse, dans une telle occasion, prendre une voiture sans permis pour une Ferrari. Mais au moins la belle berline se pare d'une carrosserie assez brillante pour permettre à l'éventuel défaut de châssis de demeurer dans l'ombre.)
A partir de cette flammèche initiale, le processus habituel peut advenir, les journalistes et éclaireurs de SC tenant le rôle de rafales de vent successives qui embrasent rapidement la toile. Mécaniquement, les premiers à se précipiter en salle sont les gens les plus réceptifs à ces retours enthousiastes, et le feu s'empare de la forêt cinéphilique.
Une fois la boule de chaleur évaporée, la possibilité de voir l’œuvre avec une tête (un peu plus) froide redevient possible. L'occasion de percevoir ce qu'on y trouve réellement, ce qui lui manque sans doute et ce qu'il y a en trop, surement.
Les qualités du film de Céline Sciamma sont éclatantes: une photo lumineuse, des dialogues souvent vifs et percutants, et quelques plans à la composition enivrante. La réalisatrice magnifie une Bretagne rarement vue à pareille fête météorologique (j'ai un instant imaginé un tournage étalé sur plusieurs années pour permettre autant de plans ensoleillés) et deux actrices au jeu intense.
Mais le récit, tout à sa maitrise et à sa soif de capter des performances mémorables, oublie sans doute l'élément majeur sensé soutenir l'ensemble -un amour qui ferait perdre tous les repères-, d'où découle rapidement le sentiment paradoxal d'assister à l'emploi d'un véhicule trop froid pour mouvoir une aventure voulue brûlante.
Peut-être également, il peut s'avérer surprenant, dans cette volonté de mettre en scène une émancipation féminine aux résonances un peu trop modernes pour 1770, de ne trouver aucune considération religieuse dans cette aventure humaine aux relents scandaleux pour les standards de l'époque. Je veux bien entendre que la Bretagne soit toujours restée, au moins jusqu'à un certain point, une terre de résistance et de paganisme. Mais il me semble néanmoins que la christianisation était bien avancée au moment des faits, depuis d'ailleurs quelques siècles. Aucune culpabilité morale ou sociale, en tout cas, ne semble à aucun moment travailler les (trois ou quatre) personnages principaux du récit.
Encore plus pénalisant pour moi, une scène pivot (pendant laquelle les deux héroïnes se toisent et se dévisagent avec désir autour d'un feu campagnard) baignée d'une mélopée moderne d'autant plus surprenante qu'elle sonne exactement telle qu'elle ne devrait pas le faire: enregistrée en studio avec un matériel numérique dernier cri, ce qui m'a éjecté de la séance comme un boulet de canon hors de son fût en pleine bataille.
La seule chose aussi injuste pour un film qu'une hype démesurée, c'est un retour de bâton vindicatif. Ce Portrait de la jeune fille en feu ne mérite sans doute ni l'un ni l'autre, et le meilleur service qu'on puisse lui rendre consiste en un regard (thème central du film) emprunt de justesse.
Au fond, un regard dépassionné sur un film parlant de passion. Frais sur la fièvre.
Quelle qu'ait été son ampleur, chaque feu se conclut par un tapis de braises qui conserve une partie des qualités caloriques du foyer initial. De quoi tenir un spectateur pas trop frileux au chaud et lui procurer un confort salutaire, mais sans doute pas assez pour enflammer durablement son imaginaire cinéphilique.