Loin des effusions spectaculaires, Sciamma choisit l’épure. Son film ne se donne pas, il se dévoile, lentement, patiemment, à la manière d’un portrait qui prend forme sous les couches successives de peinture. La mise en scène ne capture pas, elle caresse.

C’est un feu qui couve sous la surface, un incendie qui ne peut s’exprimer qu’en secret. Marianne (Noémie Merlant), peintre mandatée pour réaliser le portrait d’Héloïse (Adèle Haenel), doit d’abord l’observer à la dérobée, en voler les traits pour mieux les restituer. L’enjeu est immédiat : peindre, c’est posséder, fixer, enfermer dans l’image une femme qui refuse d’être vue.

Mais au fil des jours, l’ordre initial se renverse. Héloïse, d’objet à saisir, devient sujet qui regarde. C’est elle qui défie Marianne, qui impose la réciprocité, qui inverse le rapport de force. L’amour surgit dans cette oscillation du regard, dans cette tension du visible et du caché.

Mais le film est aussi une partition de silences. Sciamma évacue toute musique extradiégétique, faisant de chaque respiration, de chaque crépitement de feu, un élément narratif à part entière. Le désir naît dans ces espaces vides, dans ces instants suspendus où une main qui frôle un tissu devient un événement. Il faudra attendre la fin, et ce Largo déchirant de Vivaldi, pour que la musique explose enfin, emportant avec elle la retenue accumulée tout au long du film.

Au cœur du récit, un mythe s’insinue : celui d’Orphée et Eurydice. Dans une scène clé, Marianne et Héloïse s’interrogent sur ce moment où Orphée se retourne, condamnant Eurydice à disparaître. Est-ce un échec, un caprice ? Ou un choix délibéré, un dernier regard qui, plutôt que de sceller une perte, inscrit l’amour dans l’éternité ?

C’est là tout le paradoxe du film : cet amour est voué à l’absence, mais c’est précisément cette impossibilité qui le rend impérissable. À jamais, Marianne gardera l’image d’Héloïse vêtue de cette robe blanche, embrasée par les flammes d’une bougie. À jamais, Héloïse conservera le souvenir de ce dernier chiffre, le 28, dissimulé dans un livre ouvert comme un battement de cœur secret.

Un amour qui s’achève, et qui demeure.

cadreum
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