Difficile exercice que celui de mettre en scène l’horreur, de lui donner un visage.
Dans Possession, Zulawski distille l’horreur de manière implicite grâce à des symboles et à une ambiance pour le moins sinistre.
Il semble que deux thématiques majeures s’entrecroisent pour rendre ce climat lugubre et étouffant.
D’une part, la fragmentation, l’éclatement du couple et de la sphère familiale. Cette thématique est parfaitement rendue à plusieurs reprises dans le film (la rencontre dos à dos dans le bar, les discussions vaines, artificielles et parfois absurdes des deux personnages principaux, le désordre dans tout l’appartement, les habiles jeux de miroirs…). La narration décousue et les mouvements saccadés de la caméra, qui suivent les gestes spasmodiques d’Anna et de Mark à travers les différentes pièces de l’appartement, participent à renforcer l’effet de désagrégation du couple. Il s’agit bien d’une œuvre affreusement pessimiste et glauque. Le mal et le désespoir se ressentent tout le long du film. Berlin apparait ici particulièrement terne, glaciale et artificielle. C’est une ville pâle, marquée par la désolation. Il s’agit donc d’un décor parfait pour magnifier la flétrissure de ce couple en proie aux pires tourments. Les sourires diaboliquement malsains et pervers d’Anna et de Mark renforcent cette sensation d’avilissement. Même les personnages secondaires ont tous un côté bizarre et effrayant (exemple du regard fasciné, porté par le détective sur le monstre). Seul l’enfant est à coup sûr l’innocent de l’affaire (comme bien souvent). Le fils est présenté comme la victime immaculée de la folie des adultes dépravés. Il subit par exemple une crise dans son sommeil au moment où son père s’apprête à commettre l’adultère.
D’autre part, on peut noter aussi l’importance prise par les symboles notamment religieux. Symboliser vise ici à mieux exprimer le réel (les relations contradictoires du couple), à lui donner davantage de force. C’est un film profondément inspiré par le christianisme et surtout par sa morale. Ainsi on retrouve une foule de références bibliques (les yeux verts du serpent, le topos de la femme instable et tentatrice, la position en croix d’Anna lors de son orgasme avec l’abomination, le vin/sang au moment du meurtre du premier détective…). Ainsi, la scène finale de l’ascension tragique dans l’escalier baigné de lumière semble être conçue comme une métaphore de la montée impossible des âmes corrompues au paradis. La morale chrétienne est perceptible également à travers la dénonciation ouverte de la concupiscence et la glorification de la fidélité. La femme pécheresse encourage au vice et entretient une fascination pulsionnelle pour la destruction et le désir. Les plans successifs sur les palpations des corps dénudés retranscrivent efficacement cette idée d’adoration de la chair. De plus, la créature difforme et ésotérique semble constituer l’allégorie des péchés d’orgueil, de colère et de luxure enfouis en Anna.
En revanche, il n’y a, à mon sens, pas vraiment de rapport avec le communisme, excepté le mur, mais qui selon moi symbolise une fois encore l’état de séparation, de rupture dans lequel se trouve le couple. On peut à la rigueur, distinguer une dénonciation du mythe de l’homme nouveau qui avait été exalté par les courants totalitaires dans les années 1930 notamment à travers la recherche de la perfection (physique, mentale et sexuelle) ou encore la métamorphose de la créature répugnante en un Mark horriblement céleste.
Les acteurs sont plutôt convaincants toutefois la narration décousue et la confusion permanente (scènes d'hystérie), censée dérouter le spectateur, laisse une trop large part d’interprétation personnelle et a donc tendance à nuire à la compréhension des symboles présents dans le film. En outre, la complexité des éléments cabalistiques subrepticement évoqués durant le film peut aussi parfois laisser penser à un certain enfumage. Possession n’en demeure pas moins un film osé et éprouvant pour le spectateur.