Le ton est donné dès l'allitération du titre : Possession annonce bien le subtil et sournois encerclement de la conscience ensorcelée. Mais par quoi ? Il faudra accepter de ne pas tout comprendre dans ce film, et de savourer cet égarement, en se laissant simplement prendre par les hallucinantes (et hallucinées) prestations du duo central, par l'ambiance angoissante, et par les singuliers virages de tonalité du scénario.
En revanche, SensCritique, je vais gronder : le synopsis en dit beaucoup trop ! Quel dommage de dévoiler ainsi cet élément du scénario qui, en plus, n'intervient finalement qu'assez tard dans le film. Arriver vierge face à lui reste donc encore la meilleure idée.
C'est le tout premier film de Zulawski que je vois et c'est un véritable coup de coeur, thématique et formel : dès le début, j'ai aimé ses mouvements de caméra, les endroits surprenants où il la place et qui contribuent à donner beaucoup de nervosité, de modernité aux images. Zulawski tournoie beaucoup autour de ses acteurs pour rendre le vertige hystérique qui s'empare de leur psyché, se fixant au plus près des visages et des regards pour mieux montrer la progression abyssale de la folie. J'ai également particulièrement goûté les qualités d'écriture de ce film, dont certaines répliques sont très belles, très poétiques, presque lyriques. Il est d'ailleurs fait mention à un moment donné d'Henri Michaux, comme si Possession se plaçait naturellement sous le patronage littéraire, surréaliste et totalement décalé de cet immense poète givré.
Et qui pour mieux jouer la folie que la si sublime et terrifiante à la fois Isabelle Adjani ? J'ai trouvé incroyable ce mélange chez elle de douceur et de dinguerie absolue : elle est ravissante avec son visage de poupée et pourtant on la devine dangereusement insaisissable et capable d'exploser dans des crises homériques d'une violence sans pareille. Mais il y a lui aussi, son mari, incarné par un Sam Neill dont le regard et l'attitude très inquiétants n'ont rien à envier au grand maître de la psychopathie au 7ème art, j'ai nommé : Jack Nicholson.
Dès les premières minutes de Possession, on ne peut que s'inquiéter pour le fils de ce couple totalement perché, livré à ces êtres capables de tout et surtout de n'importe quoi.
Par quoi sont donc possédés les personnages ? De quoi sont-ils soudain esclaves qui les prive de leur libre-arbitre ? Cette question n'est ni plus ni moins que celle que pose la tragédie grecque - et il y a tant de cette dernière dans ce film, où Adjani exploite fabuleusement ses talents de comédienne : sommes-nous pleinement responsables de nos actes et seuls maîtres à bord de notre conscience ou une entité supérieure (divine, transcendante) fait-elle de nous, par instants, des pantins dénués de volonté ?
Je vais risquer une interprétation sauvage de Possession, qui est avant tout un drame conjugal et sexuel, en m'appuyant sur les différents symboles qui filent cette oeuvre ainsi que sur les réactions des personnages.
Sam Neill est possédé par elle, par son amour obsédant pour cette Anna folle et fuyante qu'il cherche à retenir par tous les moyens, que l'idée d'un amant et la menace d'une séparation plongent dans plusieurs semaines d'intense délire psychiatrique. C'est elle qui le possède, lui qui devient alors le jouet de son attachement forcené pour cette belle infidèle. Elle, et on le comprend au tout début du film, est une femme insatisfaite sexuellement, qui va chercher ailleurs le plaisir qu'elle ne trouve pas dans le lit conjugal. Incapable de contrôler ses accès de fureur autant que ses envies d'ailleurs, Anna se laisse peu à peu gagner, posséder totalement par ses désirs frustrés et jamais comblés.
Son almost, pendant la scène la plus dérangeante du film, avec ce monstre ô combien phallique, dit bien son incapacité à jouir, quel que soit son partenaire, humain ou non : c'est cet inachèvement de l'acte, cet inassouvissement du plaisir, qui la rendent esclave, folle de douleur.
Zulawski n'hésite pas à pousser à fond tous les curseurs de l'angoisse et du délire fantastique - auquel on peut ne pas adhérer mais que j'ai trouvés visuellement très réussis.
Cet impressionnant monstre aux yeux verts - identiques à ceux de l'institutrice, double apaisé d'Anna- fait signe vers un jeu de miroirs déformants où soudain tout se mélange, où l'on ne sait plus trop qui est qui, où on va et qui veut quoi.
J'ai plusieurs fois pensé à la phrase de Baudelaire qui disait que le beau [était] toujours bizarre. Rarement citation aura mieux collé à un film : malgré toutes ses étrangetés, ces moments où le spectateur tutoie la nausée et le vertige, il se dégage de Possession une beauté vénéneuse, ténébreuse, qui tient au physique ravageur d'Adjani, à la qualité de la mise en scène et à l'impeccable photographie de Bruno Nuytten qui n'a pas pris une ride et qui joue avec brio avec les clairs-obscurs. (Ceux, symboliques, de la conscience intermittente)
L'angoisse que Zulawski parvient à insuffler à ce film, la crudité choquante de certaines scènes (l'une, dans les toilettes, l'autre dans les couloirs du métro, me resteront longtemps..) : c'est finalement ça, la puissance de cette oeuvre, un mélange de réalisme radical, cruel, hyper violent, saupoudré de fantastique et d'étrangeté qui sèment le doute dans le cerveau du spectateur.
Et la musique, la musique.... Quelle trouvaille que ces sons aigus, dérangeants et discordants, dont parfois on ne sait plus s'il s'agit de cris de souffrance, de râles de plaisir ou de chants religieux.. Un cocktail païen et iconoclaste qui m'a énormément plu et fait de cette oeuvre un petit bijou punk qui m'a retourné le cerveau.
Possession ne plaira évidemment pas à tout le monde - c'est une expérience clivante dont on ne sort pas indemne. Pourtant, si on lui accorde l'attention nécessaire, il se révèle une oeuvre protéiforme d'une richesse symbolique et freudienne hallucinante, portée par un couple d'acteurs incandescents dirigés de main de maître, le tout dans une atmosphère violemment ténébreuse.
Immense.